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de crédit. Leur rôle d’intermédiaire eut sa raison d’être dans un moment où l’épargne était sollicitée, au fur et à mesure de sa formation, par cent entreprises diverses : chemins de fer, travaux d’édilité, gaz, mines ou forges, tant en France qu’à l’étranger. Ces créations n’étaient pas toutes du meilleur aloi ; il serait injuste pourtant d’accuser les établissemens de crédit d’avoir développé la fièvre de spéculation qui sévissait au commencement de l’Empire. En 1856, avant qu’ils ne fussent entrés en scène, le gouvernement, effrayé du nombre et de l’importance des émissions nouvelles, s’appliquait à les restreindre. Mais la transformation de l’outillage industriel commençait à peine, et les traités libre-échangistes de 1860 allaient donner au commerce français une extension inouïe. Il passa en cinq ans de 3 à 6 milliards.

De cette époque (1863) date la fondation presque simultanée de la Société générale à Paris, du Crédit lyonnais à Lyon, et d’autres moins notables dont plusieurs ont disparu. Ces cadets ne firent aucun tort à leurs aînés : le Comptoir d’Escompte distribua, en 1866, 63 francs de dividende, — plus de 12 pour 100 du capital. — « Les difficultés, disait, dans son rapport d’ouverture, le Conseil de la Société Générale, résideront beaucoup plus dans la multiplicité que dans l’insuffisance des affaires proposées, pour le développement du commerce et de l’industrie. » Le contraire aujourd’hui serait vrai, puisque, de 4 milliards en 1889, le chiffre des émissions est tombé à 2 milliards en 1891 et à 300 millions en 1893. Les établissemens de crédit sont-ils responsables de cette stagnation ? Ils ont été accusés par les uns d’avoir, pour toucher de gros courtages, patronné des entreprises peu viables et contribué ainsi à développer la méfiance de l’épargne. D’autres les blâment au contraire d’oublier leur rôle d’éclaireurs de l’armée financière, en montrant une timidité exagérée vis-à-vis des affaires qui n’ont pas fait leurs preuves. Cependant avec les emprunteurs considérés, devant qui toutes les bourses sont prêtes à s’ouvrir, les intermédiaires se trouvent travailler pour la gloire. A peine si on les gratifie d’un pourboire misérable, sous le nom de « commission de guichet. » La Ville de Paris, lors de son émission récente, leur allouait 2 francs par obligation, qu’ils ont eux-mêmes rétrocédés presque entièrement à leurs correspondans de province, poussés par le souci qui les force, pour ne pas déchoir, à présenter un gros chiffre de souscription.

Une loi inéluctable associant le danger au bénéfice, les sociétés de crédit, lorsqu’elles fournissent de leur poche le capital d’une entreprise, diminuent l’aléa en se cédant les unes aux autres une portion de leur mise. Par ce système de placemens à deux et trois degrés s’effectuait, en faveur des propriétaires d’une seule action