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civil, l’autorité du commandant militaire comptera toujours, quoi qu’on fasse. On sait à quelles luttes, à quel arrêt dans les progrès de la conquête française, à quels désordres même a abouti en Algérie l’institution du régime civil, qui, au début, s’est trouvé en compétition et en lutte sur tous les points avec l’administration militaire préexistante. Pendant une longue période, les deux pouvoirs rivaux, au lieu de servir la France, ont usé leurs forces et l’argent de la métropole dans une lutte inavouable, que seul un régime parlementaire pouvait provoquer et tolérer. Depuis lors, on est arrivé à un modus vivendi dont, en France, on se trouve à bon marché satisfait ; mais on a beau déclarer officiellement le commandant des troupes subordonné au gouverneur général civil, il n’en est pas moins vrai que les deux autorités subsistent côte à côte, et que leur entente apparente n’est possible que grâce à des choix particuliers de personnes, et grâce au tact individuel des hauts fonctionnaires placés à la tête des deux départemens. Des concessions mutuelles ont été nécessaires ; en fait, la plus grande partie de la surface de l’Algérie constitue encore un territoire militaire et est laissée en apanage à l’armée ; le moindre inconvénient de ce dualisme a été l’arrêt de toute initiative efficace de la part du gouvernement général. Les agens secondaires, obéissant à d’anciennes traditions et à un ancien esprit de corps, ont outrepassé encore, souvent, les tendances de leurs chefs : de part et d’autre, il s’en est trouvé qui ont mieux aimé faire échouer les conquêtes extérieures ou les améliorations intérieures les plus utiles, que de les voir mener à bien par le parti adverse.

Cet état de choses déplorable a été signalé bien des fois ; on a cru y remédier par des moyens palliatifs. Est-on bien sûr d’y être parvenu ? D’aucuns prétendent que l’on n’a fait qu’atténuer le mal en apparence et que mettre un terme aux scandales les plus bruyans ; mais le statu quo dans tous les progrès les plus urgens, la paralysie de toutes les aptitudes et de toutes les énergies, le gaspillage du trésor public dans des manœuvres sans utilité nationale et dans une lutte sourde, tels ont été, longtemps, les résultats du régime adopté. Tout ce que l’on a obtenu, incontestablement, c’est de substituer le piétinement sur place à la marche en avant, et le calme apparent qui règne aujourd’hui n’est peut-être qu’un mélange d’inertie et d’efforts perdus qui, de part et d’autre, se neutralisent. Or, le statu quo n’est pas permis quand, à l’extérieur, on a des rivaux tels que les Anglais et les Allemands qui marchent à grands pas et qui nous devancent par ce seul fait que, chez eux, la politique extérieure n’est pas subordonnée à la politique intérieure et à des querelles de partis ou à des doctrines de sectes.