Dans le vocabulaire politique, où l’on abuse tant des mots, il n’en est pas dont on abuse plus que du mot Démocratie. Même quand on ne s’en sert pas pour traduire une vague aspiration vers un état social, mal défini comme tout ce qui n’est que rêvé ; même quand on n’en fait pas quatre syllabes sacrées, sources d’un pur lyrisme et refrain d’un hymne à la puissance du Nombre, mystérieuse et irrésistible comme une force de la nature ; même quand on se borne modestement à le prendre au sens étroit, précis, et qui est le seul légitime, de gouvernement du peuple par le peuple, simple forme de gouvernement ; — que d’acceptions diverses ne lui donne-t-on pas encore ! ou plutôt que d’objets différens et de circonstances différentes, que de régimes au fond différens ne range-t-on pas sous cette même étiquette !
C’est ainsi qu’on dit tout d’un trait : la démocratie suisse, la démocratie française, la démocratie américaine, sans réfléchir qu’entre la première et la deuxième, entre la deuxième et la troisième, il y a plus que la hauteur des Alpes ou la largeur de l’Océan. La démocratie suisse, par exemple, est historique et traditionnelle ; la démocratie américaine s’est établie d’un coup dans un pays neuf ; la démocratie française, au contraire, est comme une jeune greffe entée sur un vieil arbre monarchique.
La démocratie helvétique et la démocratie américaine se sont, dès l’origine, appliquées toutes les deux et n’ont pas cessé de s’appliquer à un État fédératif ou à une confédération d’Etats ; la démocratie française, au contraire, vient se superposer, sur le tard, à un État unitaire et centralisé. La démocratie helvétique et la démocratie américaine existant depuis toujours, depuis que la