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Révolution fondit sur la Suisse comme un orage ; elle creva sur elle en une pluie de fer et de feu. Quand elle se fut éloignée, il sembla qu’elle eût tout rasé, tout détruit. Au lieu de l’ancienne Confédération des treize cantons, de treize républiques confédérées, une seule République helvétique où chaque canton n’était plus qu’un département sans autonomie, sans physionomie, une République une et indivisible faisait effort pour se dresser. Au lieu des vieilles libertés historiques, elle apportait, en la vantant comme d’essence supérieure, la liberté selon la formule nouvelle, mise à la mode jacobine, distribuée par portions égales à une Suisse administrativement partagée en provinces égales, une abstraction au lieu des réalités positives. Mais cette métaphysique alla se heurter et se briser aux circonstances physiques. Une idéologie dédaigneuse des faits, le besoin de se déverser, de se prolonger, de se reproduire au dehors et comme une sainte fureur d’apostolat, de prosélytisme, empêchaient la Révolution de comprendre que la nature extérieure est une des bases de l’État ; que l’État est toujours, dans sa forme, ce que la géographie commande ou permet qu’il soit. Quelque violente qu’ait été une tempête, elle ne suffit pas à changer le climat ni le relief du sol. Ainsi de la Révolution : elle ne put abattre les montagnes, éternelles cloisons entre un canton et l’autre.

Ce vain essai de république unitaire, dans un pays qui n’est qu’une succession de vallées dont chacune est, géographiquement, une république séparée, ne tarda pas à être jugé et condamné. Napoléon lui-même, le terrible centralisateur, vit bien que la centralisation n’est pas une fleur des Alpes. Il vit bien qu’il fallait, ou ne point laisser une pierre de ces murs de granit, percer les massifs et niveler les chaînes, ou rendre aussitôt à la Suisse des institutions historiques qui sortaient de la terre et s’y liaient indissolublement, parce qu’ici plus que n’importe où la terre tenait l’homme et avait fait l’État.

Il rompit avec cette chimère de la République helvétique, une et indivisible comme la République française. L’Acte de médiation fut une amende honorable à l’histoire, que la Révolution avait, en Suisse, outragée et reniée. Napoléon y fait de la politique réaliste et concrète ; quoiqu’il ne se meurtrisse pas la main à vouloir pétrir le roc helvétique comme il a façonné l’argile plus meuble de la France, néanmoins il y met sa marque. Il prend les treize cantons anciens, il y joint six États alliés ou terres sujettes : Saint-Gall, les Grisons, Argovie, Thurgovie, le Tessin et Vaud ; mais il a soin de travailler sur l’histoire et avec l’histoire. Elle lui fournit la matière première, qu’il modifie plus qu’il ne la transforme. Ce n’est pas la République unitaire, imaginée et créée de