Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 127.djvu/308

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des forêts et des pâturages de quelque valeur situés sur son territoire. Comme aujourd’hui et tout naturellement, en soulevant encore moins de récriminations, c’était à elle que retournait, au printemps et à l’automne, toute propriété privée, pour quelques semaines, par l’exercice du droit de Paschcommin, auquel étaient soumises toutes les terres des particuliers. Comme aujourd’hui, elle réglait librement l’exercice de ce droit[1]. Elle avait le droit de chasse en plaine et en montagne et le droit de pêche au Rhin. Elle n’avait pas de seigneur, elle était son propre seigneur, et elle pouvait être réellement un seigneur, les ligues ayant, en Valteline, des sujets, et les communes étant souveraines dans chaque ligue.

Les judicatures aussi étaient souveraines dans leur ressort, au moins en matière criminelle. Leur nom le disait : Hochgerichte ; elles avaient haute et basse justice, la potence et la roue ; mais quel était l’élément vivant de la judicature ? L’élément vivant de la ligue ou de l’État, toujours le même, la commune. La judicature elle-même était comme une grande commune : Jurisdictio seu communitas Desertinensis, porte une ancienne description de la vallée[2]. Au-dessous de ces communitates, des curtes, communes plus petites et tribunaux pour les causes mineures, Tavetsch, Disentis, Trons, Brigels. C’étaient les communes, judicatures ou parties de judicature, qui, en tirant de leurs embarras d’argent, en aidant de leurs deniers, leurs seigneurs laïques et ecclésiastiques, avaient acheté leur affranchissement, s’étaient libérées de la dîme, avaient acquis le droit d’élire les juges des Hochgerichte, entre leurs citoyens, un ou deux par commune[3]. C’étaient elles qui désignaient les députés à la Diète ; chaque commune, chaque judicature, avait son président, son mistral, ses officiers, ses huissiers : « Si l’on regarde aux magistrats et aux tribunaux, écrivait un nonce apostolique en Suisse, il y a, dans les Grisons, autant de républiques que de communes[4]. »

Sur l’Etat grison et sur la commune grisonne, les flots de l’histoire ont passé sans que presque rien y fût changé. A la place des trois ligues, il y a le canton ; à la place des trois chefs,

  1. La commune avait même ses lois, ses coutumes écrites, qu’on pourrait comparer soit aux lois barbares du haut moyen âge, soit encore aux Kanouns kabyles. Voy. dans la Rätoromanische Chrestomathie, de M. Decurtins (I Band, 2 Lieferung, pp. 342 et s), les Statuts de Fûrstenau et d’Orlenstein et, dans le même volume (p. 320), la Formule du droit de Flims. Cf. La Lettre de la Terre, coutumes du pays de Sciions (p. 219), les Choses du Droit (p. 282), la Forme du droit criminel d’Ilanz (p. 286), le Droit des maléfices du pays de Schons (p. 289).
  2. Mauri Wenzini Descriptio brevis Communitatis Desertinensis, dans les Monatrosen, de Lucerne, XXVI Jahrg, 1881-82 : Heft III.
  3. Id., ibid., p. 388.
  4. Monsignor Scotti, Relatione, etc.. p. 77-78.