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forces. Pour garder du moins cette garnison, il publia le 23 un ordre du jour aux gardes mobiles, où il leur disait : « Votre droit est de rester à Paris. » Tel est le redoutable enchaînement des conflits, et voilà comment la passion pour une cause bonne inspire des actes qui ne le sont pas. Moins que personne un chef militaire devait reconnaître à des soldats le droit de choisir où il leur plaisait de combattre. Le gouvernement, qui eut raison de blâmer cette atteinte portée à la discipline, se trompa à son tour sur les motifs qui avaient décidé le général. Où il y avait eu une erreur de jugement, il crut à un vice de caractère, et, parce que Trochu, en rendant désormais impossible le départ des mobiles, avait acquis parmi eux une enthousiaste popularité, on soupçonna que son seul but avait été de l’obtenir.

Une autre circonstance accrut le même soupçon. La loi du 10 août sur la garde nationale portait que les bataillons anciens conserveraient leurs cadres et que dans les nouveaux seulement les grades seraient conférés par l’élection. Mais dès qu’à Paris ces scrutins commencèrent, les officiers qui tenaient leur grade du gouvernement offrirent leur démission. Le gouvernement la refusa, les officiers supérieurs convinrent de s’en remettre à l’arbitrage de Trochu. Le gouvernement fut fort irrité d’apprendre que, d’accord avec le général, la démission de ces officiers devenait définitive. Trochu fut accusé d’avoir désorganisé les 60 000 hommes de l’ancienne formation qui, avec leurs officiers nommés par l’empereur, étaient dans Paris une force conservatrice, et d’avoir livré tous les grades à la confusion révolutionnaire du suffrage. Il n’avait pu croire que, par son conseil, il fortifierait la garde nationale, quel avait été son but, sinon d’affaiblir le gouvernement ? Les réponses ne manquaient pas au général : il ne s’était pas prononcé sur le meilleur mode de conférer les grades, il n’avait pas adhéré au système de l’élection : seul le gouvernement, par la loi du 10 août, avait adhéré à ce détestable principe. La prétention de limiter le mal aux nouveaux bataillons était puérile : si l’élection était un mal, pourquoi l’avoir consentie ? si elle était un droit, comment priver de ce droit les deux tiers de la garde nationale ? En n’osant pas maintenir à l’autorité militaire la nomination des nouveaux officiers, on avait moralement destitué les anciens officiers que l’autorité militaire avait choisis. Le général n’avait eu qu’à reconnaître l’évidence de ces faits ; il avait dû convenir que les anciens officiers, n’ayant plus l’autorité, avaient raison d’abandonner le grade. Si pour les remplacer il fallait recourir au vote, la faute n’était-elle pas tout entière à ceux qui avaient consacré par la loi ce détestable moyen ? Mais