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l’empire, le maréchal est sans compétence pour contredire. De la situation d’arbitre qui décide, il passe au rang d’inférieur qu’ils éclairent par l’autorité de leur accord et de leur renommée. Contre eux, il n’ose plus rester seul avec lui-même. Il reprend sa marche vers la Meuse.

Maintenant entre ceux qui se disputaient le sort de cette armée la lutte est achevée. En vain la Chambre continuera-t-elle quelques jours encore à chercher dans de petites combinaisons le remède au grand désastre qui s’approche ; en vain le 27, le 28, le 29 août, dans le conseil de défense, Thiers et Trochu tenteront un dernier, obstiné et magnanime effort en faveur de cette armée qui chaque heure approche de sa perte ; ces luttes ne sauvent plus que l’honneur de ceux qui les soutiennent. Le gouvernement a vaincu, il a sans une défaillance de volonté ni de cœur conduit l’armée à sa perte ; toutes les fois que, dans cette marche à l’abîme, l’armée s’arrêtait, il l’a poussée ; elle penche déjà sur le bord, et son poids suffit désormais à sa chute.


VI

L’armée française était à une étape de la Meuse, quand, le matin du 28 août, Mac-Mahon se dirigea sur Stenay, pour y franchir le fleuve. Mais, à la suite des ordres qui, la veille, avaient prescrit la retraite sur Mézières, une partie des bagages et de l’artillerie s’éloignent vers cette ville, ou y sont déjà parvenus. Il faut les ramener à nos corps ; les routes sont encombrées par ces mouvemens, que la pluie ralentit encore. Le soir, le maréchal apprend qu’à Stenay l’ennemi est en forces et le pont coupé. L’armée est sans équipage de pont : force est de chercher, le 29, un passage sur la Meuse, en descendant la rive gauche, jusqu’aux villages de Romilly et de Mouzon. En trois jours, l’armée a reculé vers l’ouest, marché vers l’est, et tourné au nord. Ces changemens de direction, qui rendent visibles au dernier soldat les incertitudes du chef, achèvent d’ébranler les troupes. Les ordres se transmettent et s’égarent avec la même imprévoyance agitée qu’ils se donnent. Dans la journée du 29, le 1er et le 12e corps, qui la veille formaient la gauche et qui, par le changement de front, sont en tête, gagnent les points de passage indiqués ; le 7e les suit ; mais le 5° n’a pas été informé que la direction était changée et continue à s’avancera l’est vers Stenay. Enfin averti, de Failly s’arrête le soir à Beaumont, en l’air, loin des autres corps, touchant l’ennemi, et tranquille.

Les trente-six heures de grâce que Montauban avait promises à Mac-Mahon sont passées : nous n’avons ni devancé les armées