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New-York et Chicago nous envieraient l’invention. Cette fois nous aurions vaincu les Américains, mais la victoire coûterait cher au génie français.

Le point sur lequel il semble que l’administration veuille reporter en grande partie l’intérêt de la fête, c’est la Seine. On ne saurait qu’y applaudir. La Seine est le plus bel ornement de Paris. Si elle n’a plus les eaux pures et salubres que Julien, césar dans les Gaules, se plaisait à vanter dans son Misopogon, elle est restée l’artère principale de la grande ville et, à certaines heures, quand elle flamboie sous les rayons du soleil couchant, elle tient un langage éloquent aux imaginations et aux âmes poétiques. Aussi les concurrens ont-ils presque tous appuyé dans leurs dessins sur l’attrait que l’on pourrait tirer des deux rives. Il a été indiqué des « motifs de décoration, » pour parler le langage des ateliers, qui éblouiraient la foule et transporteraient les esprits rêveurs dans les plus beaux pays du monde. L’idée la plus digne d’attention est celle qui ferait figurer au bord de notre Grand Canal un fragment de la ville de Venise. Plusieurs de ses plus beaux édifices viendraient se mirer dans les eaux de la Seine. A comparer leur limpidité à celle des canaux vénitiens, ils ne s’y trouveraient pas trop dépaysés. MM. Marcel et Galolti, et M. G. Rives, auteurs de ces projets, n’ont pas à craindre que l’administration les leur dérobe. En réalité ce genre d’idées n’appartient à personne parce qu’il est à tout le monde.

Ce qui est bien du domaine privé de quelques concurrens ce sont les idées singulières, parfois étranges, qu’a fait naître le dessein de livrer la Seine et ses bords à l’esprit d’invention. Le « large pont » commandé pour relier l’esplanade des Invalides, les constructions permises sur ce pont et en encorbellement sur la Seine, le long des quais, ont jeté les imaginations hors des voies battues. On ne peut guère s’étonner que tel concurrent dont la correction habituelle est connue et hautement appréciée, M. J. Hermant, pour n’en citer qu’un seul, ait pris la balle au bond et transformé le pont en entrée triomphale, en place publique, ouverte au centre sur la rivière et aboutissant à un palais féerique comme on n’en voit guère que dans les théâtres ; qu’il ait développé le long des quais une double ligne de monumens dont la construction nécessiterait une dépense de plusieurs dizaines de millions. On ne peut même pas reprocher à MM. B. Leroux et Bitner d’avoir porté les appuis des encorbellemens permis au milieu de la rivière et d’en avoir fait une île très peuplée de palais ; ni à M. Saladin d’avoir couvert une partie de la Seine devant les Invalides, pour y réunir les produits de tous les arts ; ni à