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événemens de la vie publique dans le repos du home : on a dit avec raison que le lieu semblait « fait pour y lire la Vita nuova de Dante parmi des images sereines qui murmurent des choses inexprimées[1]. »

Seulement, ces drames silencieux de l’âme, ces imperceptibles mouvemens du cœur, toutes ces inquiétudes à peine avouées de la raison qui balance, de la volonté qui se divise ou du sentiment qui s’ignore, ne se révèlent pas à la vue par des jeux musculaires très sensibles, ni par des gestes très définis. L’ardeur d’un soldat qui se bat à coups de sabre, l’ivresse d’une femme qui valse, voilà des sentimens qui s’expriment aisément, naturellement par le langage des gestes. Mais les impressions d’une jeune fille au moment où elle devine sa mort proche et sa béatification assurée, ou bien encore celles d’une recluse obligée à faire de la tapisserie toute sa vie, sans jamais regarder dans la direction d’un château de perdition, n’ont point pour se manifester aux yeux des expressions très fortes, ni même très adéquates. Voulant les traduire, les artistes ont dû chercher des mots nouveaux, c’est-à-dire des attitudes inaccoutumées ; il leur a fallu inventer des poses, plier des membres à de bizarres torsions, creuser les expressions des faces. La particularité du geste découle ainsi forcément de la suggestivité de la donnée. Ce n’est pas que les Anglais dessinent très souvent des gestes faux, mais du moins dessinent-ils des gestes rares. Un geste faux est celui que le corps ne peut donner, ou qu’il ne donne qu’avec un effort très pénible ; un geste rare est celui qu’il ne donne jamais naturellement, mais qu’il peut atteindre et même garder sans peine. Rejoindre les deux coudes par derrière son dos, c’est un geste faux ; désigner avec l’index de la main droite une personne qui est à votre droite, en tenant le coude collé au corps, c’est un geste rare. C’est un peu celui de la Foi et de l’Automne de Burne-Jones. Il n’est pas sans grâce, car il marque une certaine retenue dans le mouvement, — une sorte de réticence myologique, — mais il n’est pas naturel. Le geste naturel consisterait au contraire à détacher hardiment le coude du corps, comme lorsqu’on met le poing sur la hanche. Mais c’est vulgaire, et entre le vulgaire et le rare, un artiste anglais n’hésite pas : il préfère le rare. D’ailleurs, ce qui est vulgaire, en général, c’est de gesticuler, comme les orateurs du Midi. Les Anglais gesticulent aussi peu dans leurs tableaux que dans leur vie, j’entends qu’ils ne font pas de grands gestes enveloppans et démonstratifs. On a dit d’Alma-Tadema que c’est le peintre du repos : on peut le dire,

  1. Vicomte E.-M. de Vogue, Remarques sur l’Exposition du Centenaire.