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d’artistes. Lorsqu’on ne fait pas de peinture dans le studio du M. Cl… on y fait des conférences théologiques, et lorsque la Belle Dame sans merci ne se promène plus dans le jardin fleuri, parmi les rhododendrons de M. H. II… à Hampstead, c’est M. Gladstone qui vient y prononcer un discours sur le Home rule. De tels artistes peuvent agir sur toutes nos facultés parce que toutes les leurs sont agissantes, et beaucoup nous enseigner parce qu’eux-mêmes ils ont beaucoup appris.

Ce qu’ils nous enseignent, c’est avant tout l’idée de travail. L’improvisateur qui fait un cheval ou une Harmonie en deux jours comme Fromentin ou M. Whistler, et qui en demande 200 guimées sous prétexte qu’il s’y prépare depuis trente ans, est extrêmement rare chez les Anglais. La plupart de leurs artistes se ressemblent par leur dédain du succès facile, leur ténacité à la besogne, leur détermination à ne pas se tenir pour satisfaits tant qu’ils sentent encore en eux quelque chose de meilleur que dans leur œuvre, je dirais leur conscience, si ce mot, le plus beau qu’on puisse dire d’un homme, n’avait point perdu de sa valeur par l’abus qu’on en fait en l’appliquant chaque jour à des artistes qui en manquent totalement. Madox Brown a mis quatre ans à faire sa Fin de l’Angleterre qui ne contient que deux figures, et quinze ans à peindre les fresques de la salle de ville à Manchester. M. Hodgson dit de Walker qu’ « aucun artiste n’a jamais gémi comme lui dans les affres de la production. Il faisait peine à voir. » Hunt, nous l’avons vu, a dépensé toute une vie de continuel labeur à quelques petites toiles, — ce qu’un de nos peintres expose en une année au Champ-de-Mars ou au club. Watts en a peint des centaines, mais il les garde dans son atelier, estimant que, sur ce nombre, deux seulement n’ont pas besoin de retouche. Burne-Jones a mis sept ans à concevoir et à exécuter sa Briar-Rose, qui compte, il est vrai, quatre panneaux contenant chacun plusieurs figures. Sa Roue de la Fortune, dessinée en 1871, ne fut pas commencée de peindre avant 1877, ni terminée avant 1883. Il faut lire M. Hamerlon et ses récits de campement dans les moors du Lancashire pour se figurer la peine et le temps que dépense un pré-rapliaélite pour étudier sur place, et brin par brin, une touffe de fougère. Dans sa hutte de bois et de toile enduite de goudron, qui précéda de dix ans la roulotte fameuse de M. de Nittis, M. Hamerton eut à supporter le froid, l’humidité, les rafales, la curiosité des paysans qui venaient, croyant lui voir exécuter des tours, les attaques des chasseurs de nuit, les sottes questions des hobereaux du voisinage et cela pendant des mois. Ce même désir d’exactitude a inspiré à M. Boot l’idée de peindre ses vues d’océan et de rivières, à