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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 127.djvu/408

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mieux de s’adonner à toute autre chose qu’à l’art. » Pour lui, il n’hésite pas à déclarer que l’enseignement scientifique des lois de l’univers ou des faits de l’histoire doit être le premier but du peintre. Il ne fait aucun cas d’un premier plan de Téniers qui ne nous apprend rien sur la constitution géologique du sol, ni sur les feuilles des plantes qui y poussent, ni sur l’ordre des architectures ruinées qui y gisent : « Je ne vois pas, dit-il, quelle peut être la différence entre un maître et un novice, sinon le pouvoir de rendre les vérités plus délicates dont je parle en ce moment. Car manier librement la brosse et peindre du gazon, des herbes, avec assez de soin pour satisfaire les yeux, sont des qualités qu’une ou deux années d’études peuvent donner au premier venu. Mais retracer sur le gazon et les plantes ces mystères d’invention et de combinaison par lesquels la nature s’adresse à l’intelligence, rendre la fissure délicate et la courbe descendante et l’ombre ondulée de la terre éboulée, d’un doigt léger et précis comme la touche de la pluie elle-même, découvrir dans tout ce qui apparaît de plus méprisable et de plus insignifiant un témoignage nouveau de ce que fait le pouvoir divin « pour la gloire et pour la beauté », le proclamer et l’enseigner à ceux qui ne regardent, ni ne pensent, voilà qui est, en même temps que le domaine particulier d’un esprit supérieur, le devoir précis qu’en attend la Divinité.[1]. »

Ce dernier trait nous découvre le fond de la pensée anglaise. Si l’art doit être didactique, ce n’est pas comme fin dernière, c’est parce qu’il doit, en nous apprenant par le menu combien est admirable la création, nous élever à l’adoration du créateur. Ruskin, déjà un vieillard, écrivait le 16 septembre 1888, à Chamouni : « Tout ce qui est contenu dans l’expression passionnée de ma jeunesse fut manifesté et concentré dans cette formule donnée, il y a vingt ans, au début de mes conférences d’Oxford : « Tout grand art est adoration ! » Watts, critiquant Haydon, déclare que « tout art qui a eu un réel et durable succès a été le vulgarisateur de quelque grand principe d’esprit ou de matière, de quelque grande vérité, de quelque grand paragraphe du livre de la nature » ; et Hunt précise ce but en disant : « Je crois que toute personne éclairée, qui va dans un musée et qui s’y familiarise avec le témoignage des liens dans l’ordre de la création, et de leur relation avec les faits les plus anciens et les plus nouveaux, sent instinctivement s’accroître en elle la certitude de l’existence du créateur, de sa grandeur, de sa toute-puissance à faire régner

  1. Modern Pointers, vol. II. Of the foreground.