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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 127.djvu/457

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même kampong pour y diner. J’avais fait une récolte fructueuse, et ma chaloupe était chargée d’Orchidées, notamment du Cœlogyne asperata ; dès que les habitans aperçurent ces plantes, leur attitude vis-à-vis de moi se modifia brusquement. Les femmes et les jeunes filles surtout donnèrent les signes de la plus vive agitation ; beaucoup d’entre elles se mirent à pleurer et à crier ; d’autres manifestaient une violente fureur, et je ne sais ce qui serait advenu si je ne m’étais pas hâté de partir, en distribuant autour de moi des pièces de monnaie et une bonne provision de tabac. Je regagnai mon bateau et m’éloignai sans retard, heureux de sauvera peu de frais mes plantes et peut-être même ma vie ; les Dayaks, qui paraissent avoir un culte spécial pour ce Cœlogyne, et qui considèrent leur existence comme liée à la sienne, ne m’auraient pas laissé emporter ma cargaison la première surprise passée, et peut-être m’auraient-ils fait payer chèrement mon sacrilège. »

Il ne faut pas croire que tout soit terminé pour le vaillant explorateur qui voit son canot chargé d’une ample moisson. D’autres obligations commencent pour lui, obligations des plus sérieuses, car un oubli, une précaution négligée, peut changer son trésor en un monceau hideux de bulbes ou de racines pourries. Il lui faut tout d’abord faire sécher ses plantes dans un endroit ombreux et bien aéré ; à cet effet, il les étendra sur des claies ou il les suspendra de façon à ne les emballer que lorsqu’elles seront dépourvues de toute humidité extérieure. Alors, il lui faudra numéroter les espèces, indiquer si elles furent recueillies sur des roches, des branches d’arbres ou sur le sol ; le lieu et à quelle date il les trouva ; la moyenne de la température de ce lieu, et enfin, si le climat où elles végétaient était humide ou sec, froid ou chaud. Ceci fait, il lui faudra faire un choix de caisses légères qu’il percera de quelques trous sur toutes les surfaces, mais, en ayant soin de fixer sur ces trous, des clous en croix afin d’éviter l’invasion des rats. Au fond des caisses, il lui faudra mettre une couche de copeaux lins et secs, puis un lit de plantes séparées elles-mêmes par des copeaux, un autre lit de copeaux, un autre lit de plantes et ainsi de suite. De tous ces soins minutieux dépend le succès de son expédition. Le but sera complètement atteint, si les Orchidées arrivent en automne en Europe. Les débarque-t-on en hiver, elles ont alors à craindre la gelée et les dangers qui menacent tous les exotiques des pays chauds, hommes et plantes, quand se prolonge la saison froide.

Comprend-on, maintenant, pourquoi les Orchidées valent souvent et sans hyperbole leur poids en or ? Il s’en vend tous les