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bien qu’un parti, même le plus considérable, n’a jamais que trois ou quatre hommes disponibles pour les plus grands emplois. Il y en a d’autres, certes, qui ont" tout autant d’esprit, de talent, d’expérience, d’éloquence, et qui peuvent même en avoir davantage, mais qui, pour des motifs divers, ne sont pas immédiatement utilisables. Les uns ont trop servi et supportent encore le poids de certaines responsabilités ; les autres pas assez, et ne peuvent pas aspirer à jouer tout de suite les premiers rôles. Le parti modéré, au début de la législature actuelle, avait trois hommes qui réunissaient les conditions voulues pour remplir toutes les fonctions. Trois seulement ? dira-t-on encore : c’est peu ! C’est beaucoup, au contraire, et aucun autre parti ne pourrait en fournir davantage. Ces trois hommes étaient M. Casimir-Perier, M. Burdeau et M. Dupuy. Avec eux, le parti modéré a fait face, pendant plus d’une année, à tous les besoins d’une situation qui s’est plusieurs fois modifiée. M. Casimir-Perier a été porté à la présidence de la République et M. Burdeau est mort : il n’est plus resté que M. Dupuy, et alors on s’est trouvé au dépourvu. Cette pénurie, cette insuffisance de personnel ne durera probablement pas. D’autres hommes se formeront, ou émergeront : mais, pour le quart d’heure, le parti modéré avait épuisé ses ressources, tandis que le parti radical avait conservé toutes les siennes. Il ne manquait pas au parti radical un seul de ses premiers sujets : ils étaient là, sous la tente, pleins d’ardeur et d’impatience. Depuis un an, qu’on nous passe la familiarité du mot, pas un seul n’avait pu être casé. Les radicaux les avaient inutilement présentés ou offerts comme candidats à la présidence du Conseil, à la présidence de la Chambre, à la présidence de la République : chaque tentative avait abouti à un échec. Les radicaux avaient été battus sur tous les points. L’état de choses qui en est résulté ressemble un peu à celui qui succède à des élections où deux listes se sont trouvées en présence, et où la tête de l’une a été élue, tandis que l’autre tout entière est restée en ballottage : au second tour de scrutin, le parti triomphant n’a plus que la queue de sa liste à opposer à la tête de la liste adverse, et, naturellement, il perd de ses avantages relatifs. C’est ce qui vient d’arriver au Palais-Bourbon, et voilà pourquoi M. Brisson a été élu : il faut réduire la victoire des radicaux à ses justes proportions.

Ajoutons, afin d’avoir tout dit, que, par le fait même que le parti modéré est au pouvoir, le ministère a encore prélevé sur lui une demi-douzaine d’hommes plus ou moins distingués pour les faire entrer dans sa propre composition. Ce n’est un secret pour personne que plusieurs membres de la majorité ont fait des démarches pressantes auprès de M. le ministre de la marine dans l’espoir qu’il accepterait la candidature à la présidence. M. Félix Faure a été déjà vice-président de la Chambre et il possède la sympathie de tous ses collègues. Qu’il eût été élu contre M. Brisson au mois de décembre, cela est certain ;