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dans le recul de l’ombre, l’étincelle toute menue et rouge des cierges, l’impression se ravive en moi des pardons de Bretagne. Même presse à l’intérieur de l’humble église, avec plus de recueillement, même gravité du type, mêmes groupes de mendians, les habits ouverts, montrant à nu toutes les plaies et toutes les infirmités humaines, mêmes marchands de pâtes un peu sucrées, un peu miellées, qui peuvent passer pour gâteaux près du pain noir des fermes, et de menus objets de toilette ou de harnais, où vit un reste d’art local : foulards, bonnets de laine, brides de mules ornées de pompons, œillères pailletées de cuivre, bâts superbes, que tendront les panses rondes des outres et des pots, bâts aux couleurs violentes, bleues et rouges, vertes et jaunes, d’un dessin capricieux, que dut tracer jadis la main fine d’un Arabe. Les maisons se courbent en demi-cercle autour des deux églises. L’un des coins s’enfonce dans la campagne montueuse, pleine de pommiers et de maïs, l’autre descend jusqu’à la baie de Passage. Là, comme à Renteria, sur l’autre bord du ruisseau, le spectacle est bien nouveau pour nous. Ce sont des bourgs nobles, des logis de paysans ayant, au-dessus de la porte, des armoiries en haut relief, une pierre de granit, d’où saillissent les casques empanachés, la ligne nette des écussons et le ruban des devises. Ils n’éveillent pas l’idée de richesse ou de puissance, mais celle d’une race toute fière, qui n’a jamais perdu le respect de ses origines, et qui eut un moment le loisir et la fortune qu’il faut pour produire ses titres. Alors, comme aujourd’hui, le fumier devait joncher les seuils, les poules picorer dans les cours, les vêtemens de la famille sécher sur les grands balcons de bois, les bœufs sortir par couples enjugués des portes en plein cintre. Si on interrogeait les gens qui habitent là, on découvrirait des descendans authentiques de ces gentilshommes laboureurs, une caste qui n’a pas déchu, dont l’histoire dit seulement la bravoure anonyme, aux heures de crise, et se confond, le plus souvent, avec l’histoire paisible des champs et des saisons. En France, nous pourrions rencontrer des hommes de lignage noble parmi les ouvriers de la terre. Il paraît que les derniers vicomtes de Belzunce labourent aux environs d’Hendaye. Mais les ancêtres étaient à la cour... Je me suis arrêté quelques minutes dans une rue de Renteria, pour écouter deux musiciens jeunes, en culottes courtes, dont l’un jouait du tambourin et de la flûte en même temps, l’autre d’un tambour plus gros. Ils étaient appuyés au mur, du côté du soleil, et tournés vers la façade d’un de ces hôtels pauvres. Ils n’avaient pas l’air de mendians. Je les aurais pris plutôt pour des amoureux, n’eussent été les singuliers instrumens de l’aubade.