voyons, dans les illustrations des voyages en Espagne, rouler dans un nuage de poussière, au tournant d’un précipice. La nôtre s’en va doucement, au trot des mules maigres. Le mayoral est en blouse, et j’ai l’honneur d’être assis à ses côtés et de jouir de l’encouragement paternel qu’il jette à son attelage, blasé sur les tendresses et les sévérités du conducteur : Macho! Macho! Cela veut dire simplement : « Mulet! mulet! »
La route est jolie. Il fait grand soleil. Nous suivons le torrent de l’Urola, et, comme les montagnes, presque toutes égales, dévient alternativement l’eau du Gave, tantôt à gauche, tantôt à droite, du bout de leurs pointes vertes, nous changeons d’horizon à chaque moment, l’essence du paysage restant partout la même : des croupes de maïs, des taillis en pente raide déjà nues par l’automne, des sommets d’herbe rase, une maison çà et là, et des ponts d’une arche, pointus en leur milieu, et si anciens que les parapets sont tombés et qu’on ne voit plus qu’un petit sentier de cailloux, montant et descendant au-dessus des remous coupés de roches. Verdure, moissons, bois escaladant les cimes, voiles de brume dans les fentes d’ombre où coulent des cascades : sommes-nous en Tyrol, en Suisse, ou près de Pistoia, dans les hautes vallées de l’Apennin? On peut choisir entre les trois. La physionomie propre du pays basque s’affirme plus nette dans Azcoïtia. La vieille Espagne héroïque y a laissé un des plus farouches monumens que je connaisse : le palais du XIIe siècle des ducs de Grenade, un simple quadrilatère de hauts murs se levant parmi les maisons, mais construit en pierres d’un brun fauve, polies, luisantes comme l’émail et résistantes comme lui. La famille l’habite encore pendant les mois d’été. Nous passons. Les armoiries de haut relief, seul ornement plaqué sur la façade nue, sont recouvertes d’une draperie de deuil. Et peu après, au milieu d’une vallée semée de maïs, barrant tout l’espace entre les collines, coupant la plaine en deux, l’immense couvent de Loyola m’apparaît, longues murailles blanches, coupole au-dessus, qui se dessinent sur le fond bleu de montagnes lointaines. La première impression est une impression de grandeur et de sévérité. Je ne connais pas encore l’Escorial, mais je suis sûr que Loyola lui ressemble un peu. Il est en harmonie avec les lignes régulières du paysage. Pas de bois, pas de couleur violente sur les pentes des montagnes ; à peine une dentelure de clochetons au bas de la coupole. Rien ne fixe la curiosité des yeux qui cherchent. On éprouve la sensation de dépaysement, le secret malaise que nous cause d’abord cette chose si peu humaine : la majesté simple. Il faut se faire à cette vue grave. Je m’y fais par degrés. Cinq minutes