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quartiers, rose dans ses nouveaux, enveloppée d’autres collines en cercle, qui s’élèvent à mesure qu’elles s’éloignent, jusqu’à devenir montagnes, et sur lesquelles on distingue, après bien des vergers, bien des maisons de banlieue, vertes pour trois pieds de vignes, des pentes arides, crevassées, que tachent par endroits, comme des taupinières monstrueuses, les rejets de terre des puits de mines.

Deux lignes de chemins de fer conduisent à l’embouchure du Nervion. Je prends l’une pour revenir par l’autre. Un vrai type de fleuve ouvrier, ce Nervion, tourneur de roues, déversoir d’un nombre incroyable de chaudières, emprisonné longtemps par des quais, dragué dans sa partie basse, battu en tous sens par l’hélice des vapeurs. Ses eaux ne sont pas pures. Les poètes bucoliques ne chanteront pas ses rives, hérissées de tant de cheminées d’usines, en un point, qu’on se croirait sur la Tamise, et qu’un nuage violet sombre y demeure toujours pendu sous l’azur ou le gris du ciel. Mais comme il est fort, actif, utile ! Comme elle est belle, la baie où il se jette, toujours coupée de navires qui viennent, qui partent, qu’il a portés ou qu’il portera bientôt ! Voici Portugalete, à gauche, une ville industrielle avec deux ou trois rues et un quai couverts de maisons de luxe, pour les baigneurs d’été ; Las Arenas, sur l’autre rive, simple station balnéaire, de création récente, dont les villas aux toits de tuiles rougissent parmi les pins. De l’une à l’autre, il y a un pont, mais d’un modèle nouveau : on ne passe pas dessus, on passe dessous. Il a été lancé sur le Nervion, en 1893, par un ingénieur français, M. Arnodin, réalisant une idée originale d’un architecte espagnol, M. de Palacio. Deux tours de fer, découpées comme la tour Eiffel, soutiennent des rails en l’air, à quarante mètres au-dessus du niveau des plus hautes mers. Des câbles descendent de là, qui tiennent au bout de leurs griffes une assez grande cage à banquettes, si bien accrochée, si bien défendue par eux contre les écarts possibles que, n’ayant d’appui que tout là-haut, elle glisse, elle franchit le fleuve, à quelques pieds des lames, sans subir la moindre oscillation, même aux jours de tempête. Je passe le Nervion sur cette machine, en compagnie de plusieurs très jolies femmes et d’une charrette à bœufs, tout attelée et pleine de lits et d’armoires : un déménagement de paysan.

— Regardez, me dit un industriel, M. V…, à qui je suis recommandé. Tout cela, c’est l’œuvre de vingt ans. Bilbao dans le Nord, Barcelone dans l’Est, prouvent que l’Espagne est capable de rapides progrès industriels, et que certaines de nos races, tout au moins, ne sont pas douées seulement pour le travail des champs, mais pour ceux de la mine et du métier. Nos chemins de fer