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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 127.djvu/555

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— On a voulu faire de ma vie un roman... des gens qui ne me connaissent pas... C’est pourtant bien simple. Si vous avez le temps de m’écouter cinq minutes, la voilà, ma vie !

Et j’écoute, et j’attrape au vol cette autobiographie :

— Je suis né à Jerez de la Frontera, en Andalousie, le 9 janvier 1851. Mon père était médecin. Il se maria deux fois, et eut vingt-deux enfans. Je suis le troisième de la seconde femme. Vers douze ans, j’entrai à l’Ecole royale de marine. J’aurais voulu être. officier. J’en sortis, au bout de cinq ans, avec le titre de guardia marina. Mais mon père s’opposant à ce que je suivisse cette carrière, je laissai là la marine, et je commençai mon droit, à Séville. J’avais dix-huit ans. Entre dix-sept et dix-huit, à la maison, chez mes parens, année de repos, j’écrivis ma première nouvelle : Salaces de un estudiante. Le prologue est de Fernan Caballero, Andalouse, comme vous le savez, avec laquelle ma famille était très liée, et qui fut pour moi comme une grand’mère. Elle corrigeait mes devoirs de style au collège ; elle corrigea de même mes essais de jeune homme, et les présenta au public. En vérité, je crois que cet ouvrage est bien ignoré aujourd’hui. Le seul exemplaire que j’en connaisse est aux mains de mon élève préféré, le deuxième fils du duc de Granada (‘celui dont j’avais vu le palais à Azcoïtia). Vers dix-neuf ans, je publiai mon deuxième roman, dans El Tiempo, un journal de Madrid. Il s’appelait Juan Miseria. Je l’ai depuis réédité, avec corrections ecclésiastiques. J’allais alors beaucoup dans le monde, et je l’aimais. Je parle du monde élégant, de la bonne société, vous me comprenez? Rien ne me forçait à écrire, et, jusqu’à mon entrée en religion, à vingt-quatre ans, je ne publiai plus qu’une autre toute petite nouvelle. Alors, me sentant la vocation, et les jésuites étant, à ce moment, chassés d’Espagne, je partis pour la France, et je fis mon noviciat dans le département des Landes. Je savais un peu le français, qu’une de mes sœurs m’avait appris, et j’arrivai à posséder assez bien votre langue, sauf à perdre plus tard ce commencement d’habitude, comme vous voyez. Il n’était plus question de littérature, mais de philosophie. Il en fut ainsi pendant les cinq ans de mon séjour en France, et même après mon retour en Espagne, où je professai, pendant l’année scolaire de 1878 à 1879, un cours de droit romain, à la Guardia, en Galice. Je ne repris la plume qu’en 1883. Mes supérieurs me demandèrent, vers cette époque, d’écrire dans une revue mensuelle qui s’imprime ici, et qui tire à quinze mille exemplaires : El mensajero de el Corazon de Jésus. Je le fis, j’écrivis de courtes nouvelles, Gorriona, Pilatillo, Mal-Alma, plusieurs contes pour enfans. J’étais connu de la clientèle du Messager, et d’un groupe de lettrés et