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A moins toutefois d’admettre l’hypothèse de l’abandon graduel, et à bref délai définitif, de la culture du froment en France, il faut reconnaître, quelque opinion que l’on professe sur la valeur économique des tarifs protectionnistes, que le droit de 7 francs et les droits similaires sur les autres céréales et sur les vins ont été cette année une aubaine précieuse pour tous nos cultivateurs et viticulteurs, et le salut pour un grand nombre d’entre eux. Lorsqu’il y a quelques mois, les protectionnistes de la Chambre prétendaient, pour avoir raison des hésitations que soulevait la question du droit nouveau, que l’agriculture française ne pouvait produire du blé à un prix de revient inférieur à 25 francs, ils commettaient une erreur dont les prix actuels établissent l’énormité. Mais il est permis de se demander si la production pourrait se maintenir longtemps avec les prix actuels de vente.

Or il n’est pas besoin d’insister avec force sur les raisons de tout ordre, raisons économiques, patriotiques, sociologiques, qui commandent à la France, bien loin de se résigner au déclin de sa grande industrie agricole, de la rendre plus forte qu’elle n’a jamais été, et d’arrêter le mouvement, si gros de périls pour notre avenir national, qui précipite vers les villes nos populations des campagnes. C’est là le problème économique qui est devenu la préoccupation intense de tous les patriotes.


Il

Le ministre de l’instruction publique, M. Leygues, parlant dans une fête agricole en septembre dernier, voyait dans la migration constante des populations rurales vers les villes et les grands centres industriels une des causes principales du malaise social. « Dans les départemens exclusivement agricoles, dit-il, la population ne cesse de décroître, tandis qu’elle grossit d’autant dans les centres manufacturiers. En quelques années le Lot, la Dordogne, le Gers, l’Yonne, ont perdu de 10 à 20 000 âmes. Au contraire le Nord, le Rhône, le Pas-de-Calais en ont gagné de 20 à 60 000. Il y a là un véritable péril national. »

Les inconvéniens de ce déplacement de population présentent un caractère de gravité exceptionnelle. La main-d’œuvre se faisant plus rare dans les campagnes, les frais d’exploitation de l’agriculture croissent d’année en année, et menacent la faible marge de bénéfice que réduit d’autre part l’abaissement des prix de vente. Dans les villes et les régions industrielles, au contraire, où s’entassent en masses de plus en plus compactes les travailleurs,