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seule, on a fait aussi à l’industrie le funeste présent dont la douceur commence à lui sembler suspecte.

De là vient que, tandis que les prix en Europe auraient dû hausser devant l’afflux d’or (représenté dans la circulation par les billets de banque) qui s’est produit depuis quatre ans, ils ont au contraire fléchi, parce qu’ils fléchissaient nécessairement dans le reste du monde. Dans cette mesure, les conditions économiques des pays créanciers sont sous l’influence immédiate de la dépréciation monétaire qui affecte les pays débiteurs, à circulation de papier ou d’argent avili.

La caractéristique du phénomène est que les pays débiteurs, depuis quatre années, vendent le plus possible et achètent le moins qu’ils peuvent. Les produits naturels affluent en Europe; les marchandises fabriquées en sortent de moins en moins pour aller chez les exotiques. Aussi la valeur des exportations anglaises en objets fabriqués a-t-elle été inférieure en 1894 d’un milliard de francs à celle de 1890, et les valeurs similaires françaises ont baissé dans le même temps de près de 300 millions.


VIII

La décroissance du montant de nos exportations en général, et surtout de nos envois d’objets fabriqués, a commencé en 1891, après les deux années de l’expansion provoquée par l’Exposition universelle, et avant la modification de notre politique commerciale. Le protectionnisme ne saurait donc être seul en cause; la situation, décrite ci-dessus, des pays débiteurs, a accentué le mouvement qui se dessine depuis assez longtemps déjà dans le monde, et pousse tous les pays à se suffire de plus en plus, à se passer des autres, en développant chez eux, non pas seulement une agriculture, mais aussi une industrie indépendante. Une grande enquête poursuivie sur ce sujet montrerait les progrès dès maintenant réalisés dans cette direction, non pas seulement chez nos voisins les Allemands, les Belges, les Italiens et les Espagnols, mais en Russie, dans l’Inde, au Japon, en Chine même. Les vieilles nations industrielles de l’Europe sont en train de perdre le marché du monde. C’est une évolution gigantesque, dont les résultats actuels ou à long terme excèdent de beaucoup en importance l’action d’un tarif protecteur, même établi à contretemps, comme a pu l’être le tarif Méline.

Le fait a été excellemment mis en lumière dans le dernier rapport publié au nom de la commission permanente des valeurs de douanes :

« Pour un observateur impartial, dit M. Picard, auteur de ce rapport, il est évident que nous marchons à un remaniement