Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 127.djvu/585

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
L’ANCIEN MAITRE

Je me trouvais, au printemps de l’année dernière, voyager dans la partie méridionale des États-Unis, et le hasard fit que je m’arrêtai dans une petite ville de Géorgie dont je ne puis pas écrire le nom ici, j’expliquerai tout à l’heure pourquoi. J’avais le projet d’y rencontrer un ancien officier de l’armée du Nord, ami particulier de Lincoln, et dont on m’avait dit qu’il me montrerait quelques très belles lettres inédites du grand président. Je l’appellerai simplement le colonel Scott, petit déguisement qui ne le déguisera guère là-bas, pour ses intimes. Mais j’ai promis de ne pas écrire non plus son vrai nom. L’ami commun, qui m’avait, à Washington, donné une lettre pour lui, m’avait prévenu :

« Attendez-vous à voir le plus compliqué des hommes, un homme many sided, comme nous disons en Amérique. Vous en jugerez. Il est originaire du Massachusetts, et il y a du puritain en lui. Il a fait la guerre, et il y a du soldat. Il a étudié la médecine, et il y a du savant. Puis il est entré dans les affaires. Il a dirigé une grande fabrique de boutons de livrée, et il y a de l’industriel dans son cas. Et il y a encore du propriétaire de campagne, du gentleman farmer, depuis qu’il a acheté une grande plantation dans le Sud : c’est la santé de sa fille qui l’y a décidé. Et il y a surtout un homme excellent, bon, charitable et très droit, avec toutes sortes de curieux souvenirs sur Lincoln d’abord, puis sur Grant, sur Hooker, sur Sheridan… Enfin, vous causerez avec lui… »

J’ai beaucoup causé avec le colonel, en effet. J’ai feuilleté les lettres de Lincoln et recueilli dans ces conversations bien des détails