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POURQUOI RIT-ON?

ÉTUDE SUR LA CAUSE PSYCHOLOGIQUE DU RIRE

On rit dans les circonstances les plus diverses. Quand on énumère au hasard les cas de rire, même les plus communs, on est effrayé du chaos. Un calembour, un ronflement qui s’élève dans une assemblée grave, une naïveté d’enfant, un chien qui entre à l’église pendant la messe, un quiproquo, un ivrogne qui titube, une parodie, la robe de l’actrice qui s’accroche à un clou du plancher, un costume démodé, le lapsus d’un orateur, une cabriole de clown, voilà quelques échantillons au gré du souvenir. — Nous voudrions montrer qu’ils se ressemblent tous. Nous voudrions dégager de tous ces cas l’élément commun, la cause, partout présente, qui fait jaillir le rire[1].

Les philosophes, les savans, les curieux, ont beaucoup cherché cette cause. Kant, Hegel, Darwin, Spencer, ont proposé leur solution. Récemment encore, dans la Revue philosophique[2], M. Penjon exposait avec verve une théorie ingénieuse. Nous aurons à juger si aucun d’eux n’a trouvé la vérité. En tout cas, leurs indications nous seront précieuses.

J’ai déjà cherché, ici même[3], la cause psychologique de la rougeur. Je voudrais appliquer au rire la même méthode : me borner à l’analyse intérieure, sans me soucier de ce qui se passe

  1. Il est important de remarquer qu’un cas de rire n’est pas forcément un cas d’éclat de rire. Il suffit que nous éprouvions l’envie de rire, sensation connue de tous. À cette envie on résiste ou on ne résiste pas, mais quand on la sent, il y a cas de rire.
  2. Août 1893.
  3. Voir la Revue du 1er octobre 1893