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Chez une personne vénérée, nous apercevons une petitesse : nous en sommes tout simplement attristés. Quand on nous révèle les travers d’autrui, on ne nous fait pas toujours rire : ce qui nous fait rire, c’est une certaine façon de nous les révéler. Il y a une médisance plaisante, mais il y en a une qui est froide et morne ; pourtant elle est dégradante par définition.

Ainsi ni le baroque, ni le déploiement de la liberté, ni le contraste, ni la dégradation ne sont la cause réelle du rire. Il y a des spectacles baroques qui ne font pas rire, des actions libres qui sont austères, des contrastes qui sont tristes, des dégradations qui sont mornes. — Reprenons donc nous-mêmes une poursuite qui semble infructueuse ; par l’observation détaillée, par l’analyse des faits, cherchons la vraie cause, — la circonstance partout présente, qu’il suffit de produire pour produire le rire, de supprimer pour supprimer le rire, de faire varier pour que le rire croisse ou décroisse.


II

Nous n’étudierons qu’un petit nombre de cas, et des cas aussi connus qu’il se pourra. Ce qui importe, ce n’est pas la quantité des observations, c’est leur qualité. Ce qu’il nous faut, ce ne sont pas des faits rares et curieux, mais des faits francs, dont chacun de nous ait ri. Plus un cas sera vulgaire, mieux il vaudra.

Examinons d’abord quelques actions risibles. Ensuite nous examinerons quelques mots risibles.

Nous avons tous ri de l’enfoncement d’une porte ouverte. Un homme rassemble ses forces, contracte ses muscles, crispe sa face, s’arc-boute sur ses jambes pour pousser une porte : nous voyons que cette porte est ouverte, et nous rions. — Les clowns de cirque font rire par un moyen analogue : ils exécutent un effort immense pour soulever de terre un énorme boulet de canon : mais nous savons déjà que ce boulet est en carton creux, et léger comme une plume. — Que se passe-t-il donc en nous quand nous avons ce spectacle sous les yeux ?

Il est évident que l’action nous paraît d’abord baroque, même absurde. Ce déploiement de forces, pour soulever un poids que nous savons infime, est absolument insolite. Cette poussée herculéenne pour vaincre une résistance que nous savons nulle, est absolument incompréhensible. Voilà notre première impression ; voilà le premier temps du phénomène. — Mais il y en a un second, et le tort des psychologues est de ne pas l’avoir vu. Ils ont été frappés par ce premier aspect : le baroque. Ils en sont restés là. — Cherchons plus patiemment : au moment même où