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grâce exquise dans son extase d’amour ! Elle reçoit l’influx du dieu et se pâme sous son rayonnement. Cette scène mystique représente la création du monde ou la conception des âmes par la lumière céleste, sous le regard d’Osiris. Faisons quelques pas. Maintenant Isis apparaît assise à la poupe de la barque funèbre. Devant elle un cercueil, qui renferme la momie du dieu mort. Mais sa main tient le gouvernail, son regard est fixé sur l’horizon. À ses pieds, fleurit une gerbe de lotus aux calices penchés, moisson d’âmes en devenir. Isis est devenue la conductrice des âmes à travers les ténèbres de la matière, les chutes et les incarnations. Mais la voici debout, vêtue des rayons solaires, armée du casque d’azur aux longues ailes retombantes, avec son fils Horus. Ils regardent Osiris ressuscité. De quelle joie ils resplendissent, et dans leur main fulgure l’anneau crucial, la clef de la vie immortelle. Image saisissante de la résurrection de l’âme à son retour dans le monde divin.

Ces tableaux me paraissent le sommet de l’art égyptien. Ici, la profondeur du sentiment, la grâce vivante de l’exécution, ont presque brisé le moule conventionnel. Sans doute nous sommes loin de l’art grec où la sensation, le sentiment et l’idée s’unissent pour produire le coup de foudre de la beauté. C’est un art sévère qui fait appel à l’intelligence, mais où court une émotion contenue et le frisson sacré des mystères.

Ces trois tableaux ofl’rent l’image condensée de la doctrine du Verbe-Lumière, d’après laquelle l’homme est une parcelle émanée du principe intellectuel (Osiris) et de la Lumière intelligible et plastique (Isis), parcelle descendue dans la matière par sa propre faute ou pour l’épreuve nécessaire et appelée à remonter à son principe d’un libre efl’ort. Pour s’en faire une idée, je ne dis pas complète, ce qui est peut-être impossible dans l’état actuel de la science, mais approchante, il faut lire le livre des morts. On sait que c’était une sorte de bréviaire qu’on mettait dans le sarcophage des défunts. Il devait les prémunir contre les dangers de l’autre monde et les armer de la science nécessaire pour se débrouiller dans ses routes obscures. Selon les Alexandrins, c’était l’un des quarante-deux livres attribués à Hermès, et contenant la science secrète du sacerdoce égyptien. On en a retrouvé de nombreux exemplaires en papyrus sur les momies. Ce manuel d’outre-tombe n’était probablement qu’un extrait du livre en question, sorte de catéchisme d’un symbolisme confus et enchevêtré, mais sillonné d’idées profondes comme de grands éclairs qui déchirent les ténèbres épaisses. Essayons d’en démêler le sens intime et d’esquisser le voyage de l’âme, tel que se le figuraient les prêtres égyptiens.