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I

Louis-Marie de la Revellière-Lépeaux, — son nom s’orthographiait ainsi avant qu’il l’eût réformé à la mode révolutionnaire, — avait derrière lui trente-cinq ans d’une vie sans éclat et sans accident, lorsque la poussée de Quatre-vingt-neuf le porta aux États généraux. Sorti d’une famille de robins du bas-Poitou, il avait d’abord tâté de la chicane et trotté dans Paris, comme clerc d’un procureur au Parlement. Cet état ne lui plut pas : « — J’aimais l’étude de la politique, de la philosophie, et j’étais sensible aux beaux-arts. » Ses goûts l’inclinaient surtout aux sciences naturelles. Il regagna sa province. La jeune fille qu’il allait épouser lui apprit la botanique ; son ambition se borna longtemps à primer dans la Société botanophile d’Angers. C’était alors un bon jeune homme, pétri de vertus domestiques, doux et ingénu dans les relations du monde.

Tous les personnages qu’il remémore lui ont laissé le souvenir d’hommes sensibles, vertueux et éclairés, de femmes qui honoraient leur sexe par les agrémens de l’esprit et l’attrait décent de leur commerce. Louis-Marie était contrefait; il attribuait la difformité de sa taille aux corrections trop fréquentes et trop rudes que lui appliquait sur le dos son premier magister, le curé Perraudeau. Retenez ce premier grief, si cuisant à l’amour-propre, contre ceux qu’il appellera plus tard les suppôts de la superstition. Ajoutez-y une complexion maladive, des accès d’humeur triste : « — Mon penchant à la mélancolie allait souvent jusqu’à me faire répandre des larmes. Je pleurais : on s’obstinait à me demander pourquoi ; souvent je n’en savais rien. La manière dont la mélancolie m’affecte a quelque chose de particulier. Il est bien rare que j’en éprouve les accès dans la matinée; mais lorsque le soleil a dépassé le méridien, vers une ou deux heures après midi, je n’y échappe que lorsque j’en suis distrait par des circonstances particulières. Depuis ce moment, elle va croissant jusqu’à l’extinction du jour, et elle se dissipe quand la lumière artificielle le remplace. » — Le « mal du siècle », déjà? Beau sujet pour une thèse de doctorat en médecine. Vers le même temps, non loin de là, à Combourg, la même mélancolie travaille un autre jeune homme. Étrange chimie des humeurs dans les mystérieuses éprouvettes que nous sommes! Chez celui-ci, la noire larme intérieure va se transmuter en génie poétique, en passion effrénée et vague pour la nature ; il en restera de l’or et du diamant. Chez l’autre, chez le médiocre, l’amour de la nature se satisfera avec un bel herbier, bien méthodiquement classé;