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son préfet Masgivin est certainement un Maure, et le nom de son procurateur Maximus indique qu’il devait être d’origine romaine.

On ne peut lire cette inscription sans songer à ce qui se passait en Gaule à la même époque. Masuna nous rappelle ces rois mérovingiens qui essayaient de parler latin, qui conservaient le plus possible des traditions impériales, et qui, dans leur entourage, à côté des généraux francs, admettaient les évêques et ce qui restait de grands seigneurs romains.


VI

De ce qu’on vient de voir il résulte que les Romains avaient mieux réussi que nous dans la conquête des indigènes. C’était une œuvre plus aisée alors qu’aujourd’hui, mais qui n’en présentait pas moins de grandes difficultés. Nous avons vu qu’ils y avaient procédé sans précipitation, sans violence, laissant pour ainsi dire l’assimilation des races diverses se faire toute seule. Avec le temps elle s’était faite, on n’en peut pas douter, au moins pour une partie de l’Afrique. La province proconsulaire et presque toute la Numidie comptaient parmi les pays les plus civilisés du monde ; la Maurétanie seule était plus barbare, surtout dans les contrées qui avoisinent l’Océan. Les villes, devenues partout si nombreuses, si florissantes, et dont il reste tant de beaux débris, contenaient sans doute beaucoup de Romains immigrés, mais encore plus d’Africains de naissance. Ces deux élémens s’y étaient unis et presque confondus. Pour les campagnes, nous sommes moins bien renseignés ; mais le grand nombre des inscriptions latines qu’on y trouve, et qui viennent de gens de toute condition, paraît bien prouver qu’on y parlait beaucoup latin, et il est probable que ceux mêmes qui, dans l’intimité, se servaient d’une autre langue comprenaient celle des vainqueurs et l’employaient à l’occasion. Enfin nous avons cru entrevoir que même les tribus indépendantes de l’intérieur et de la frontière n’ont pas été entièrement rebelles à la civilisation romaine et que, dans une certaine mesure, elles en ont subi l’ascendant.

Ces résultats que l’histoire et surtout l’épigraphie permettent de constater, ou tout au moins de soupçonner, nous amènent à croire que la domination des Romains a dû produire dans le nord de l’Afrique les mêmes effets que dans les contrées occidentales de l’Europe, et que la situation y devait être vers la fin de l’empire à peu près la même qu’en Espagne et en Gaule. C’est ce que paraît confirmer le témoignage de Salvien et des écrivains contemporains, qui ne font entre ces divers pays aucune différence