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« Ils redoutaient sa prédication et les terribles vérités qu’il rappelait à leur criminelle indolence. On lui pardonnait d’autant moins qu’il était fils et petit-fils de pasteur. Il eût pu, en effet, signer, comme eux, les trente-neuf articles et jouir des profits que l’église officielle assure à ses membres, s’il n’avait d’abord compris que, sans entraves ni bénéfices, sa foi le mettait plus près de Dieu. — En l’empêchant de se marier, son état de pureté l’en rapprocha peut-être davantage.

« Il est en ce moment par delà les lacs de l’Afrique intérieure, — reprit-il en dirigeant vers l’Ouest des regards pleins de confiance ; — dégoûté de nos pays, il a préféré se jeter parmi les plus ignorans des hommes. Pauvres gens à qui l’idée d’un Dieu est si étrangère, paraît-il, que, pour traduire la Bible en leur langue, Samuel a dû inventer lui-même le mot qu’il fallait pour le nommer !

« Ces peuples et les régions inconnues qu’ils habitent m’eussent tenté, et je ne l’aurais point laissé partir seul si je n’avais craint moi-même de lui être moins un secours qu’un embarras. Malgré les apparences, mes cinquante ans, hélas! sont moins vigoureux que ses soixante années d’abstinence et de privations. Déjà mes cheveux grisonnent, mes membres usés n’ont plus la même vigueur, mes genoux faiblissent, et quand je parle longtemps la respiration me manque. Elle me manque aussi quand je m’élève au-dessus de certaines altitudes. Aux Indes d’où je viens, j’ai dû renoncer à visiter les missions himalaïennes que j’y entretiens. De même en Russie, l’an passé, je fus forcé de m’arrêter aux premières marches du Caucase.

« Ah! si dès ma jeunesse je n’avais, courant au pire, abusé des autres et de moi-même, ne m’auriez-vous pas permis de vous accompagner, Samuel, et au lieu de naviguer sur cette mer paisible, ne partage rais-je pas maintenant vos périlleux travaux? »


IV

Comme au désert les grains de sable, les sectes protestantes sont en réalité si nombreuses et entre elles si divisées que je crus bien faire de demander à lord Hyland à quelle secte il appartenait ou plutôt à quelle secte appartenait le maître et l’ami auquel il venait de rendre un si bel hommage.

« Mais à la sienne, me répondit-il un peu piqué. — Il est vrai qu’il importe peu, continua-t-il en reprenant sa bonne humeur habituelle. Notre secte, en effet, admet et comprend toutes les autres. A toutes elle concorde et sur l’essentiel à toutes se réunit.

« Il n’y a même ni sectes ni églises distinctes à nos yeux. Catholiques