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d’une même génération se ressemblent, et que sa vie n’eût été, après tout, que celle d’un pécheur ordinaire, sans les facilités qu’il avait tirées des biens considérables que son père lui avait laissés en mourant. Le commandant Hector m’avait dit qu’il était en effet, un des hommes les plus riches du Royaume-Uni ; qu’en dehors de ses cinq châteaux, le noble lord possédait un hôtel à Londres et, dans cet hôtel, une galerie fameuse que les guides recommandent ; mais où, depuis, au grand dommage des amateurs, il avait installé sa propagande et ses nombreux bureaux.


« Mon père, dit-il, grand amateur de navigation, était mort en mer, dans les hautes latitudes. Le corps ramené à Londres, les lords de l’Amirauté assistèrent officiellement à ses obsèques, quoiqu’il ne fît point partie de la marine royale. Mais dans les glaces du Nord il avait, entre autres découvertes, reconnu un groupe d’îles qui, sur les cartes, sont portées sous son nom. Iles Hyland, s’écria-t-il, îles inhabitées, rochers déserts d’où, vers Dieu du moins, ne monte nulle offense !

« Ma mère, reprit-il, reporta sur moi l’aveugle et extraordinaire affection qu’elle avait pour lui. Elle l’aimait, je crois, comme nulle femme n’a aimé au monde. Tout lui était permis jusqu’à l’oubli qu’il faisait d’elle. Celui-ci ne prenait pas toujours la peine de lui signaler sa présence à Londres, repartait en de nouvelles expéditions, sans l’avoir vue. Elle le supportait sans se plaindre, préférant, disait-elle, ce que lui-même avait préféré.

« Des diverses curiosités naturelles qu’il avait rapportées de ses courses lointaines, celles qui n’allèrent pas au Museum furent, après lui, placées dans des vitrines qu’elle soignait elle-même, de même qu’elle prit soin d’un jeune Lapon ramené du Pôle et dont elle pleura la mort comme s’il eût été son propre enfant. Tout ceci plus vrai que je ne vous puis dire et, dans le détail, encore plus saisissant.

« Comme à mon père, tout me fut permis et doublement, pour mon propre compte et pour le sien. Le silence maternel encourageait mes pires entreprises. Quand trop osé le scandale devenait public, elle opposait à l’opinion une invincible fermeté. À cause de moi peut-être et sans ignorer rien, pour tous elle se montrait la même.

« Ni éloge ni blâme sur les actions elles-mêmes, mais pour tous une sympathie, une tendresse, un empressement à venir en aide, qui, avec elle, je pense, a disparu du monde. On eût dit que le bien et le mal se teintait pour elle des mêmes nuances et qu’elle fût dans l’impossibilité de reprocher à personne ce qu’il était. Tant qu’elle vécut, il sembla bien que la plus pure, la plus