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de conseil d’administration; le commun des sénateurs et députés se contente d’une place d’administrateur. » Ils étaient bien déjà, selon la même feuille, deux ou trois cents parlementaires acharnés à se tailler dans les sociétés anonymes « quelques sinécures assez maigres par les profits directs qu’elles donnent, mais que l’on espère rendre plus productives par les profits indirects, les émissions à primes, les participations dans les syndicats[1]. » Je sais, quant à moi, des politiciens qui, manquant de capitaux pour acheter les titres des compagnies qu’ils prétendent administrer, s’efforcent, sans toujours y réussir, de se les faire avancer par les sociétés de crédit.

Le mal sévit surtout dans les compagnies que leurs affaires mettent en contact fréquent et forcé avec l’Etat, ou avec les municipalités. Sociétés industrielles, compagnies de transport ou d’éclairage, subissent là une sorte de violence : force leur est d’admettre dans leurs conseils d’administration des politiciens, députés ou conseillers municipaux, qui s’offrent à elles comme une sorte de paratonnerre, capable de détourner la foudre des jalousies démocratiques.

Les socialistes ont, plus d’une fois, dénoncé à la tribune ce que l’un d’eux appelait « la pénétration mutuelle de la politique et de la finance[2]. » Ils ont raison, c’est là une des plaies de ce temps. Rien de plus corrupteur pour les mœurs publiques comme pour les mœurs privées. Mais cette pénétration, cette infiltration réciproque de la finance et de la politique, l’une chez l’autre, — au rebours des préjugés vulgaires, elle s’accomplit moins souvent par l’intrusion des financiers dans la politique que par celle des politiciens dans la finance, où tant de parlementaires s’efforcent de s’insinuer[3]. Or, il n’est pas bon que la finance et la politique demeurent en contact : elles s’altèrent et se corrompent l’une l’autre. Les régions où elles voisinent sont celles d’où montent, autour de nous, les miasmes les plus délétères. Ainsi, sur les côtes basses des maremmes, où elles croupissent ensemble, les eaux douces et les eaux salées, viciées par leur mélange, empestent l’air de leurs exhalaisons malsaines et répandent au loin la fièvre.


III

Veut-on assainir les champs de la finance et purifier l’atmosphère industrielle, la première chose serait d’en écarter la politique

  1. L’Économiste français, ibidem.
  2. Discours de M. Jaurès, 21 juillet 1894.
  3. Voyez, dans la Revue du 15 juin 1894, l’étude ayant pour titre : le Capitalisme et la féodalité industrielle et financière.