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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 127.djvu/843

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grecque est dans tout son éclat lorsque Platon écrit les lignes suivantes : « Si nous étions à peindre des statues, et que quelqu’un vînt nous objecter que nous n’employons pas les plus belles couleurs pour peindre les plus belles parties du corps; que nous peignons les yeux, par exemple, non avec du vermillon, mais avec du noir, nous croirions avoir bien répondu à ce censeur en lui disant : « Ne t’imagine pas que nous devions peindre les yeux si beaux que ce ne soient plus des yeux; et ce que j’ai dit de cette partie du corps doit s’entendre des autres. » Pline a recueilli un propos attribué à Praxitèle, et évidemment emprunté à des sources grecques. Comme on demandait au grand artiste quelles étaient celles de ses statues de marbre qu’il estimait le plus ; « Celles, répondit-il, auxquelles le peintre Niciasamis la main. » Et Pline ajoute : « Tant il attribuait d’importance à la patine (circumlitio) donnée par Nicias. » Cette collaboration du peintre et du sculpteur ne doit pas nous étonner : on en trouve l’équivalent au temps de la Renaissance italienne. Ainsi Lorenzo di Credi et Cosimo Roselli peignaient les sculptures de Benedetto da Majano[1], et dans l’atelier du peintre Neri-Bicci, on coloriait « des madones de plâtre ou de marbre, œuvres de bons maîtres[2]. » Descendons plus bas dans la série des témoignages. Des inscriptions de Délos nous ont conservé le détail des comptes et des inventaires dressés par les administrateurs des temples déliens. À la date de 246, il est fait mention de feuilles d’or achetées pour la dorure d’un carquois : c’est un carquois de marbre appartenant à une statue d’Artémis. Ailleurs il est question du salaire payé à un peintre pour l’enluminure à l’encaustique d’une statue d’Aphrodite, et pour le patinage (ϰόσμησις) d’une autre statue de la même déesse[3]. C’est là une industrie dont la tradition ne se perd pas en Grèce. Après la conquête romaine, les Grecs en conservent les secrets, et ils viennent l’exercer en Italie. Une inscription funéraire trouvée à Rome nous fait connaître un sculpteur grec, d’ailleurs fort obscur, qui exerce la profession de « fabricant de statues et peintre à l’encaustique[4]. » Quelquefois le soin de colorier les marbres est laissé à des mains féminines ; témoin cette femme peintre dont une fresque pompéienne nous montre l’atelier : nous la voyons, le pinceau à la main, occupée à enluminer une statue

  1. Müntz, Histoire de l’art pendant la Renaissance, II, p. 462.
  2. Courajod, la Polychromie dans la statuaire du moyen âge et de la Renaissance. (Extrait des Mémoires de la Société des Antiquaires de France, p. 65.)
  3. Homolle, Bulletin de correspondance hellénique, 1890, p. 499.
  4. Lœwy, Inschriften Griech. Bildhauer, no 551.