Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 127.djvu/90

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la propriété qui mît dans les mains des pauvres la fortune des riches. Chacun de ces trois partis demandait à la République ce dont il se sentait privé, et chacun d’eux ne le pouvait obtenir qu’au détriment des autres.

Pour atteindre des buts si différens, les moyens ne pouvaient être les mêmes. Les ouvriers ne se dissimulaient pas que, pour accomplir les changemens souhaités par eux, il fallait renverser d’un seul coup toutes les lois et toutes les autorités maintenues par le consentement général. Les jacobins se rendaient cette justice, qu’ils étaient dans la France une minorité infime et détestée. Puisque la nation n’était ni socialiste ni jacobine, jacobins et socialistes n’avaient rien à attendre du vœu public : ils étaient d’accord pour souhaiter une révolution violente, accomplie à Paris, où les jacobins comptaient jouer par leur habileté les socialistes, et les socialistes dominer par leur nombre les jacobins. Les bourgeois, au contraire, résolus à ne livrer aux hasards ni la fortune publique ni la fortune privée, adversaires de l’empire seul, soucieux d’un changement limité comme étaient leurs griefs, et certains que la puissance des idées démagogiques avait pour frontières les faubourgs de quelques grandes villes, voulaient préparer, accomplir et consacrer la République par la puissance de l’opinion générale.

Tant que l’empire était solide, comme les entreprises de force contre lui n’offraient aucune chance, et comme l’évidence de la défaite enlevait même le courage de les tenter, la conquête des esprits par les armes légales avait occupé toute l’activité du parti républicain. Comme les seules victoires qui lui fussent permises étaient des victoires électorales, toutes ses dissidences s’effaçaient devant l’intérêt de rendre son opposition efficace, et d’accroître, par la discipline des suffrages, le nombre des députés républicains. Comme enfin les doctrines des jacobins éloignaient d’eux les suffrages ; et comme l’ignorance et la jalousie empêchaient les ouvriers, même dans les grandes villes où ils avaient le nombre, de trouver parmi eux des candidats, les députés appartenaient presque tous par leur origine, leur éducation, leurs intérêts, leurs goûts à la bourgeoisie. Ni leur langage, ni leurs desseins ne représentaient les passions et l’impatience d’une partie de ceux qui les avaient nommés. C’est pourquoi, aux élections de 1869, les jacobins et les ouvriers coalisés avaient, pour cause de modérantisme, opposé à ces anciens députés des compétiteurs qui, dans les grandes villes, durent leur succès au titre d’ « irréconciliables ». Mais les chefs de ces nouveaux venus, Gambetta et Ferry, étrangers aux études sociales, uniquement passionnés pour les