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POÉSIE.


Près de la tombe en fleur courbant nos jeunes fronts,
Restons pieusement dans l’herbe agenouillées ;
Nous qui vivons, pensons au jour où nous serons
Sous un tertre inconnu des mortes oubliées.

Effleurant d’un pied d’ombre un gazon ténébreux,
Nous rejoindrons l’essaim des âmes fugitives
Et nos mains cueilleront, loin de ces bords heureux,
Les iris noirs éclos aux stygiennes rives.


CIEL NOCTURNE



Vos invisibles mains, ô Fileuses de l’Ombre,
Des voiles constellés entremêlent sans bruit
Les fils étincelans, et tournent dans l’air sombre
Les funèbres fuseaux des rouets de la Nuit.

Dans la trame éclatante où palpitent les astres,
Ensevelissez les destins mystérieux,
D’héroïques espoirs et d’orgueilleux désastres
Ou la cendre d’un songe à jamais glorieux.

Mais pour le mal secret d’une âme tendre et fière
Et pour l’obscur tourment dont souffre un cœur troublé,
Silencieuses Sœurs douces à ma prière,
N’ourdissez pas les fils du suaire étoilé.

Fileuses, attendez que la lune illumine
Le ciel pur du reflet de sa pâle clarté,
Et chargeant vos fuseaux de la lueur divine,
Filez diligemment un linceul argenté.

Afin que la douceur de l’inutile rêve
Repose ensevelie au plus nocturne pli,
Aux rouets ténébreux entremêlez sans trêve
Le rayonnant silence et l’éternel oubli.