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trouvaient campées, des débris ramenés par Mac-Mahon, par Failly, et se diriger sur Paris, où elle aurait trouvé, le 19, le corps de Douay. L’arrivée de toutes ces troupes sur la position la plus importante à couvrir était certaine. L’avantage de cette position leur permettait un succès presque aussi assuré. La prise de Paris en effet était le but principal des envahisseurs, et, s’il succombait, la capitulation de la France. Or c’est un axiome de la science militaire que toute place assiégée, si elle n’est secourue, est une place prise. Nos trois cent mille soldats auraient formé cette armée de secours. Campés autour de Paris, dont ils auraient étendu les défenses, et couverts eux-mêmes par la protection des forts de l’enceinte, ils rendaient impossibles un siège et même un investissement. Les communications restant ouvertes entre la capitale et les provinces assuraient à la ville les vivres et les renforts. Si, pour empocher l’envoi de ces secours, l’ennemi tentait d’étendre ses ravages systématiques sur la France, son armée de blocus risquait d’être trop affaiblie, battue par la nôtre, et un échec si loin de la frontière devient presque toujours un désastre. Il était donc probable que, pour ne pas perpétuer un effort stérile et dangereux, l’Allemagne en viendrait à une paix de lassitude, où rien ne serait amoindri de notre territoire ni de notre honneur.

Mais, dans l’attente de ces résultats, il fallait tourner le dos à l’ennemi, lui livrer un territoire qu’il n’avait pas conquis, abandonner à ses ravages tout : maisons, sol, population, de la frontière à la capitale. Cet aveu d’impuissance n’affaiblirait-il pas dans le pays entier l’énergie ? Paris lui-même, Paris surtout, terme de cette marche, la comprendrait-il, et l’utilité effacerait-elle l’humiliation aux yeux de cette cité si difficile à deviner et à contenir ? Et si la révolte naissant de la honte, Paris répondait à cette retraite par une révolution, la révolution ne ruinerait-elle pas la défense ? Et si une lutte civile ensanglantait la capitale nous vaudrait-elle cette suprême épreuve que la Prusse, après nous avoir apporté la guerre, dût mettre la paix parmi nous ?

On n’avait donc à choisir qu’entre des périls. Le premier parti, plus énergique d’apparence, plus flatteur pour l’orgueil national, aboutissait, à défaut d’un succès plus que douteux, à des désastres irréparables. Le second imposait ses humiliations, ses amertumes et ses sacrifices dès le début, mais offrait ensuite de sûrs avantages à un peuple assez courageux pour se donner tout d’abord les apparences de la peur.

Or les deux généraux que la France venait de rendre au commandement et dont elle attendait une direction, Montauban et Trochu, se trouvèrent dès le premier jour inébranlablement acquis