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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 128.djvu/194

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LE DERNIER MARECHAL

Lorsque les émigrans d’Irlande vont s’agréger à une nouvelle société dans un nouveau monde, j’imagine que les plus déterminés se retournent pensifs vers la vieille Erin, et qu’ils ne peuvent se défendre d’un grand serrement de cœur, ces hommes de l’avenir, quand l’Océan engloutit derrière eux les derniers blocs de granit qui portaient le monde d’autrefois. Ainsi de nous ; d’irrésistibles courans nous entraînent vers de nouvelles formes de vie sociale, tout le passé s’abolit, remplacé sur notre propre sol par une Amérique où notre vieille figure ne sera plus reconnaissable : nous avons la sensation de cet arrachement, chaque fois que s’écroule un grand pan de l’ancien édifice. Le sentiment des réalités, les enseignemens de l’histoire, la raison logique, tout nous commande d’accepter l’inévitable transformation, au lieu de nous consumer en regrets stériles ; tout nous avertit que la vertu, le dévouement, l’héroïsme, la gloire trouveront d’autres expressions, aussi nobles que celles du temps passé, dans une société reformée pour d’autres tâches. Telle est cependant la puissance des longues habitudes et des mots consacrés, qu’il nous semble qu’un vide irréparable s’est fait dans notre vie nationale avec la disparition du dernier maréchal de France.

Le titre était si beau ! Moins encore par l’éclat qu’il avait reçu, tout le long des siècles, de tant d’hommes illustres auxquels il était échu, que par la masse d’efforts obscurs qu’il représentait, par les milliers de vies sacrifiées héroïquement pour approcher