éditeurs de la Deutsche Revue se sont adressés à un des professeurs de littérature les plus renommés de l’Allemagne M. Berthold Litzmann, pour lui demander d’intervenir et de défendre la gloire de Schiller, contre ses nouveaux détracteurs.
Et M. Litzmann est intervenu, et il a défendu de son mieux la gloire de Schiller. Mais j’avoue que son plaidoyer ne m’a point paru avoir la chaleur ni la véhémence que j’en aurais attendues. M. Litzmann s’y occupe bien de justifier Schiller ; mais il s’occupe surtout d’expliquer les raisons diverses qui éloignent de lui les jeunes générations. La gloire de Schiller, d’après lui, subit maintenant le contre-coup des changemens qui se sont produits dans la vie politique et sociale de l’Allemagne. Ce que l’Allemagne entière fêtait en Schiller, il y a trente-cinq ans, ce n’était pas le poète, mais le représentant des idées libérales, l’évocateur de l’unité et de l’indépendance allemandes. Aujourd’hui le nom de Schiller a perdu toute signification politique ; on en vient même à juger excessive une popularité dont on oublie les vraies causes ; et, par une réaction inévitable, on se trouve porté à déprécier un auteur trop vanté des générations précédentes.
D’autres circonstances se joignent à celle-là pour empêcher les jeunes critiques allemands d’estimer à sa valeur le génie de Schiller. Parmi elles, M. Litzmann signale notamment l’influence du célèbre critique Wilhelin Scherer, qui, outre qu’il (mettait lui-même Schiller fort au-dessous de Goethe, a encore légué à ses élèves une méthode dont l’emploi ne pouvait manquer de tourner au désavantage du poète des Brigands. Cette méthode est la même — toutes proportions gardées — qu’a transmise M. Taine à ses continuateurs français. Elle consiste à expliquer les œuvres des poètes par l’étude du milieu où elles se sont produites. Et c’était de toutes les méthodes la moins faite pour mettre en lumière le génie de Schiller, un génie tout d’inspiration, pouvant être senti, mais non analysé. Quand les critiques auront établi la genèse de Don Carlos ou de Wallenstein, quand ils en auront démonté le mécanisme dramatique, il leur restera toujours à expliquer, en dehors de toute considération d’histoire ou d’esthétique, le souffle de poésie qui anime ces drames et les rend supérieurs à tant de pièces mieux écrites ou mieux composées. L’œuvre de Schiller est de celles qu’il faut voir d’ensemble, et à distance : son charme échappe à qui veut l’étudier de trop près.
Elle est de celles, aussi, dont on ne saurait bien parler si d’abord on ne les aime : et il se trouve que les deux derniers biographes de Schiller, M. Otto Brahm et M. Minor, tous deux élèves de Scherer, n’ont point pris la précaution d’aimer Schiller avant de raconter sa vie. Nulle part dans leurs récits ne se rencontre un seul mot qui témoigne d’une sympathie réelle, d’une admiration sincère et désintéressée. Les