craintes à l’Europe sur la tranquillité du pays, ils assuraient que les derviches se remuaient dans le Soudan, que leurs forces grossissaient tous les jours, et qu’il était urgent d’augmenter le corps d’occupation. On les croyait plus ou moins, mais il était difficile d’aller sur place constater dans quelle mesure ils avaient dit vrai. Aujourd’hui, c’est au Caire même et à Alexandrie qu’ils signalent le péril, et les télégrammes qu’ils envoient à Londres le présentent comme extrêmement redoutable. Pendant ce temps-là, on s’amuse au Caire. Jamais la société européenne n’y a été plus nombreuse, ni plus gaie. Le Nil est sillonné de bateaux qui emportent dans tous les sens les touristes. Toute la société anglaise semble avoir pris l’Égypte pour station d’hiver. Les fêtes, les jeux s’y succèdent avec un entrain merveilleux. Les Anglais qui reçoivent le Times en Égypte doivent être bien surpris de ce qu’ils y lisent : ils n’auraient jamais cru, si on ne le leur assurait, avoir échappé à d’aussi grands dangers. Ils ont de la peine à y croire. Mais ils s’indignent tout de même, parce que cela ne peut pas faire de mal. L’un d’eux, qui a habité l’Égypte depuis sa naissance jusqu’à ces dernières années, et qui se vante d’y avoir connu tous les hommes importans depuis 1865 jusqu’en 1890, a déclaré très sérieusement au Times, dans une lettre qui témoigne d’un véritable trouble d’esprit, qu’il n’y resterait pas un jour si l’armée anglaise venait à l’évacuer. Le pauvre homme ne s’aperçoit pas que, s’il disait vrai, il ferait la plus sanglante critique de l’occupation anglaise. Quoi ! au bout de douze années, elle aurait abouti à de pareils résultats ? La sécurité serait moins grande le long du Nil qu’elle ne l’était auparavant, alors que le promeneur pouvait aller seul jusqu’à Khartoum, et même au-delà, sans s’exposer au moindre désagrément ! C’est à ne pas y croire ; aussi n’y croyons-nous pas du tout.
Une note, évidemment officieuse, publiée par l’agence Reuter, est venue remettre les choses à peu près au point. Tout en conservant un ton très acrimonieux contre le khédive, elle a constaté que la situation n’était pas aussi inquiétante que les journaux l’avaient dit, et que, s’il y avait eu des velléités regrettables, le mal n’irait pas plus loin. On a commencé à se rassurer à Londres ; il est d’ailleurs probable qu’on ne s’y était pas beaucoup ému. La vérité est que, tous les ans, les Anglais éprouvent le besoin de pousser un cri d’alarme au sujet de la sécurité de l’Égypte, et de faire subir, en même temps, quelque avanie au Khédive, afin de le tenir en haleine. C’est leur politique : on se l’explique mal, mais il faut bien la constater. Les effets n’en sont pas très bons, puisqu’ils font ressortir ce que la situation conserve de précaire et d’instable après une aussi longue occupation. Depuis quelque temps, les journaux anglais s’amusent à établir quelque analogie entre leur situation en Égypte et la nôtre en Tunisie. Avons-nous besoin de dire