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combinaison de la diplomatie autrichienne, comme il devinai ! , les mouvemens des armées impériales. La même conformité se marquait encore entre les calculs de sa politique et ceux de la politique autrichienne qu’entre les besoins de la nation en France, les aspirations des Italiens et son ambition.


III

A Vienne[1], celui qu’on appelait le « Baron de la guerre, » par opposition au « Prince de la paix » de Madrid, ne désespérait pas encore, sinon d’écraser la République, au moins de tirer de la Révolution française des avantages aussi grands que ceux qu’il avait tirés des révolutions de Pologne. La cour et la ville, qu’il « redoutait plus que toute la fureur de l’ennemi, » inclinaient aux accommodemens, par mollesse et par incapacité de vouloir quoi que ce fût, avec suite, même leur propre salut. Thugut se disait que, si on laissait faire Bonaparte, ce général aurait bientôt une armée de cent mille hommes et révolutionnerait toute l’Italie ; on ne pourrait plus l’en déloger. Il croyait possible, par un nouvel effort, de rompre le charme et de tourner en déroute ces victoires qu’il estimait, comme on l’avait longtemps fait à Vienne de celles de Frédéric, des victoires d’aventure et des méprises du hasard, il envoya le 5 décembre à Allvintzi l’ordre de reprendre la campagne et de la pousser avec toute son énergie. Il professait, du reste, le plus profond mépris pour les gouvernemens d’Italie : la conduite impolitique « incohérente, inepte, déshonorante, » de la cour de Naples ; l’équivoque de la neutralité de Venise ; l’inconsistance, la poltronnerie de Rome : « Ces messieurs… voudraient tout uniment que Sa Majesté combattît pour tous, les défendît tous, sans qu’il leur coûtât rien, lorsque par leur imprudence et leur couardise, ils ont gâté leurs propres affaires… » L’Autriche se défendra elle-même, elle les défendra par ricochet, ils la paieront, en écus, si les Français leur en ont laissé, enterre, dans tous les cas. Thugut ne distingue point entre la terre sacrée du Saint-Siège et la terre profane de Venise. Toutes seront également bonnes à prendre et à garder : « Pourvu qu’Allvintzi continue à avoir quelque succès, j’espère avec

  1. Sybel, Histoire de l’Europe pendant la Révolution, trad. française, t. IV, liv. III, Leoben ; Vivenot, Thugut, Clerfayt ; Correspondance de Thugut avec Colloredo ; Bailleu, Preussen und Frankreich von 1795 bis 1807, t. I ; Mémoires de Marmont, de Chaptal, de Landrieux ; Artaud, Vie de Pie VI ; Séché, les Origines du Concordat ; Trolard, De Montenotte à Arcole, de Rivoli à Magenta ; Bonnal, Chute d’une république.