Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 128.djvu/320

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce dessein impliquait l’occupation de Venise, matière de l’échange futur. De ce côté, les occasions ne manquaient pas. L’affaire de Vérone aurait suffi ; il s’en présenta une autre : un corsaire français, le Libérateur de l’Italie, voulant forcer le passage du Lido, avait été reçu à coups de canon et capturé ; les Esclavons avaient tué le capitaine. C’était un casas belli dans toutes les formes. Le Sénat de Venise envoya aussitôt une députation faire amende honorable au quartier général. « Je ne puis vous recevoir, écrivit Bonaparte le 30 avril ; vous et votre Sénat êtes dégouttans du sang français. Quand vous aurez fait remettre en mes mains l’amiral qui a donné l’ordre de faire feu, le commandant de la tour et les inquisiteurs qui dirigent la police de Venise, j’écouterai vos justifications. Vous voudrez bien évacuer dans le plus court délai le continent de l’Italie. » Voilà donc leur terre ferme conquise, et, par suite, échangeable dans les règles et selon les précédens des partages classiques.

Restait à étendre sur la ville et sur les lagunes le même droit de guerre. Bonaparte rappelle immédiatement le ministre de France, Lallement : « Le sang français a coulé à Venise, et vous y Mes encore ! Attendez-vous donc qu’on vous en chasse ?… Faites une note… et venez me rejoindre à Mantoue. » Cela fait, il avertit le Directoire : il avait un plan d’offensive magnifique : « J’aurais traversé les gorges de l’Inn, marché dans la Bavière ; j’aurais auparavant levé des contributions sur le faubourg de Vienne. Ce plan a totalement manqué par l’inaction de l’armée du Khiri. Si Moreau avait voulu marcher, nous eussions fait la campagne la plus étonnante et bouleversé la situation de l’Europe… J’ai vu la campagne perdue, et je n’ai pas douté que nous ne fussions battus les uns après les autres… Il faut, avant tout, prendre un parti pour Venise : sans quoi, il me faudrait une armée pour les contenir. Je sais que le seul parti qu’on puisse prendre est de détruire ce gouvernement atroce et sanguinaire ; par ce moyen, nous tirerons des ressources de toute espèce d’un pays que, sans cela, il nous faudra garder plus que le pays ennemi. » Il relate, en style de commissaire de la Convention, les massacres de 400 Français, les insultes au drapeau républicain, les violations de neutralité. « Si le sang français doit être respecté en Europe, si vous voulez qu’on ne s’en joue pas, il faut que l’exemple sur Venise soit terrible ; il nous faut du sang, il faut que le noble amiral vénitien qui a présidé à cet assassinat soit publiquement justicié ! » C’est l’intérêt de Bonaparte de tenir ce discours ; mais il éprouve passionnément ce qu’il décide par conseil ; sa colère même est politique, et il n’a qu’à