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heures une cuvée de 10 000 kilos de fonte, et qui, dans le même temps, rejette de ses flancs, chaque fois qu’on les ouvre, environ 20 000 kilos de scories qu’il n’a pu assimiler, consomme par conséquent une moyenne de 15 000 kilos de matières à l’heure. Il fait ce métier depuis qu’il est debout, jusqu’à ce qu’il meure de vieillesse. Sa vie dure, en général, quinze ans, sauf accidens. Il ne s’éteint que pour s’abattre, et, comme le phénix, il renaît de ses cendres ; on le rebâtit avec de nouvelles briques, on le rallume et il repart.

Les chiffres qui précèdent s’appliquent à la France ; aux États-Unis, il faut les doubler. Le haut-fourneau du dernier modèle produit, de l’autre côté de l’Atlantique, 250 tonnes de fonte par jour. Non que ses dimensions soient doubles des nôtres, mais il digère plus vite ce dont on le gave ; l’opération marche plus rapidement parce qu’on la pousse davantage ; on souffle plus fort. Ce qui est possible en Amérique où le minerai est plus lourd, ne le serait pas chez nous. Si nos soufflets possédaient la même énergie, ils enverraient tout dans la cheminée.

Six ouvriers, divisés en deux équipes de trois hommes, travaillant chacune 12 heures à tour de rôle, suffisent pour alimenter un fourneau. Quoique plus longue que celle de leurs camarades des autres ateliers, leur besogne est beaucoup moins pénible, très peu intensive et coupée de fréquens repos ; ce qui prouve, entre parenthèses, combien serait superficielle l’application légale d’une journée uniforme à des labeurs qui, dans la même usine, sont si différens. C’est sans se presser, et tout en fumant leur pipe, que les chargeurs de fourneaux roulent une boîte vide sous les réservoirs dont je viens de parler. Ils font jouer un levier, une soupape sentr’ouvre par laquelle le coke ou le minerai tombe et emplit ce vase de tôle. Ils le poussent ensuite jusqu’à la plate-forme d’un ascenseur qui l’emporte, tandis qu’une autre benne semblable redescend. Et ainsi, depuis le matin jusqu’au soir, depuis le soir jusqu’au matin.

Suivons ce minerai qui monte. Parvenu au sommet, une grue s’empare de la boîte cylindrique dans laquelle il est contenu et la tient suspendue sur l’orifice du four, pendant qu’un mécanisme spécial enlevant les parois mobiles de dessus le fond, comme un pâtissier enlèverait un moule de dessus un gâteau, la matière s’engloutit d’elle-même en un clin d’œil dans le gueulard. C’est le nom que porte la partie supérieure de la cuve, où sont introduites les charges. Plus bas se trouvent le ventre, les étalages, l’ouvrage et le creuset, cinq parties essentielles d’un haut fourneau, que traversent ensemble, à mesure que leur transformation