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dont l’évolution est lente et l’humeur pacifique : au siècle prochain, « les derniers sentimentaux verront de copieuses exterminations de peuples. » Il ne faut plus se contenter de dire que la force prime le droit, en ce sens que tout droit aurait pour origine une manifestation de la force ; il faut aller plus loin : « La force existe ; nous ne sommes pas sûrs de l’existence du droit[1]. » Le parti pris de certains darwinistes touche au fanatisme et, quand il s’agit des applications sociales, à la férocité. Peut-être feraient-ils bien de se mettre d’accord entre eux avant de damner sur terre la majorité de l’espèce humaine.

On nous parle sans cesse de races à propos de peuples, quand on devrait simplement parler de types, c’est-à-dire de certaines combinaisons de caractères. Les combinaisons sont variables, les caractères des vraies races sont permanens. Il y a bien un type français, un type anglais, allemand, mais non une race française, anglaise ou allemande. Si l’on veut faire une division de l’Europe d’après les races, a dit excellemment l’anthropologiste même auquel nous faisions allusion tout à l’heure, « je défie qu’on puisse jamais poser une borne frontière. » Les races composantes, en effet, sont à peu près les mêmes dans toute l’Europe, sauf quelques élémens tatares à l’est. Les peuples ne sont, selon le mot de M. Topinard, que des produits de l’histoire. Il n’y a plus aujourd’hui de souches humaines qui se trouveraient à l’état tout primitif d’homogénéité des bandes primordiales[2].

Tout ce qu’on peut dire, c’est que les mélanges de races ou de sous-races identiques offrent des proportions diverses, et que cette diversité de types n’est pas sans influence sur la constitution moyenne ou tempérament moyen de chaque peuple. Aussi les partisans de la « lutte des races » ont-ils dû se reporter au sein même de chaque nation pour tâcher d’en séparer et d’en apprécier les parties composantes.

Avec la plupart des anthropologistes, — notamment avec

  1. Revue d’anthropologie, t. II, p. 145, cours libre fait par M. de Lapouge à la Faculté de Montpellier.
  2. Un mathématicien, M. Cheysson, a montré qu’en France, à raison de trois générations par siècle, s’il n’y avait pas eu de croisemens consanguins, chacun de nous aurait dans les veines le sang d’au moins 20 millions de contemporains de l’an 1000. Si l’on remonte à l’époque de Jésus-Christ, on dépasse le chiffre de 18 quintillions. Pour exprimer le nombre de même nature correspondant à l’époque interglaciaire, il faudrait couvrir de chiffres la surface du globe. De ces nombres impossibles, on a déduit mathématiquement cette conséquence que des croisemens innombrables ont dû intervenir, que tous les habitans d’une même localité, d’une même province, d’une même nation ont nécessairement des ancêtres communs. C’est la parenté de fait entre les concitoyens. Cette parenté dépasse même les bornes des nationalités : Allemands, Français, Anglais ont une multitude d’ancêtres communs et appartiennent à des mêmes souches. Mais alors, que devient la politique des « races », prônée par certains anthropologistes ou sociologistes ?