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pays, des barrières de races entre les classes mêmes. Leur arrière-pensée, c’est que le blond à crâne long, l’Homo Europœus de Linné, n’est pas de la même « espèce » ni de la même origine que les autres, notamment que l’Alpinus : ce ne sont donc plus seulement les blancs qu’on prétend étrangers aux nègres, ce sont les blonds qui deviennent étrangers aux bruns. Or, c’est là, selon nous, une supposition toute gratuite et de la plus haute invraisemblance. Il n’y a pas de région, si petite soit-elle, où l’une de ces prétendues « espèces » existe sans l’autre. Les crânes longs, larges et moyens se rencontrent dans chacun des grands embranchemens appelés des noms vagues et peu scientifiques de races blanches, races jaunes, et races noires. Sur toute la terre, ils vivent les uns à côté des autres. En Europe, les dolichocéphales ont apparu les premiers, sous la forme des Méditerranéens. On en dirait autant dans les autres parties du monde si on n’avait établi (jusqu’à nouvel ordre) que le type brachycéphale nègre d’Océanie, appelé Negrito, et le type brachycéphale nègre d’Afrique, essentiellement caractérisé par les Akkas, ont tous « la physionomie de types très anciens[1]. » Comment donc attacher une telle valeur à un allongement de crâne qui se retrouve dans toutes les grandes races d’hommes et dans toutes les contrées ? Il y a là simplement deux variétés peu distantes d’un même type. — Non, répond-on, car, depuis une infinité de siècles, les croisemens n’ont pu effectuer de fusion. — Mais, au contraire, la fusion est fréquente : étant donnés des indices céphaliques de toutes sortes, il est clair que vous aurez à un bout de l’échelle des « dolichos », à l’autre des « brachys », et au milieu, des intermédiaires où les deux caractères ont fusionné. De même, vous aurez des nez gros, petits, larges, étroits, aquilins, etc. ; vous aurez des yeux tantôt noirs, tantôt bleus, gris, etc. ; on n’en peut conclure une différence d’origine primordiale fondée sur les formes extrêmes des nez ou sur les couleurs extrêmes des yeux. Il n’y a là que des hérédités de famille au sein d’une même espèce, parfois même des jeux du hasard. Pour expliquer la simultanéité universelle des crânes longs et des crânes larges, on nous assure que les premiers, actifs et guerriers, ont entraîné partout avec eux les seconds, passifs et laborieux ; les uns étaient l’état-major, les autres étaient les soldats. Pure hypothèse, dont l’histoire ne fournit aucune confirmation ! Admettons-la cependant ; s’ensuit-il que l’état-major et les soldats, qui se ressemblent de tous points, sauf par l’indice céphalique et la cou leur des cheveux ou des yeux, soient deux races et même deux espèces irréductibles ? Le « dimorphisme » est

  1. M. Topinard, Anthropologie, p. 161.