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qu’en Europe, mais cette faible minorité représente presque toute la puissance intellectuelle du genre humain ; quand elle voudra faire usage de ses forces et de son « audace typique », l’audax Iapeli genus fera ce qui lui plaira : les Juifs donnent l’exemple de la facilité avec laquelle une race peut « s’isoler tout en étant ubiquiste », former un même peuple tout en habitant vingt pays. Il s’est établi déjà on Amérique des associations en vue d’une aristocratie conventionnelle qui éviterait tout croisement impur, toute « souillure », donnerait des primes, des bourses et des dots aux sujets les plus parfaits, aux familles les plus fécondes en talens, c’est-à-dire, pour employer le terme de M. Galton, les plus « eugéniques ». — Nous doutons fort du succès de la nouvelle caste, et nous doutons surtout de son utilité. S’il est fort compréhensible que les blancs hésitent à se noyer dans les populations noires, ou même jaunes, il l’est beaucoup moins que les dolichocéphales blonds, pour une supériorité problématique de forme crânienne et de couleur des cheveux, prétendent former une humanité au sein de l’humanité même. En Europe, au moyen âge, les classes nobles se disaient japhétiques, pour se distinguer du peuple des campagnes, que l’on déclarait chamite. L’opposition des Aryas et des Celto-Slaves est du même genre. De plus, si les croisemens sont en effet dangereux entre races trop distantes, comme la blanche et la noire, ils sont plutôt utiles entre deux variétés aussi voisines que les têtes longues et les têtes larges. Ce sont les anthropologistes eux-mêmes qui nous ont appris que les couches les plus élevées des sociétés par l’intelligence et le talent s’épuisent vite, deviennent moins fécondes, soit volontairement, soit par une involontaire usure des facultés génératrices au profit des facultés intellectuelles, soit par la démoralisation qu’entraîne souvent une situation de fortune privilégiée, soit enfin par une de ces « évolutions régressives » qui ont conduit tant de grandes familles à l’imbécillité finale et à la folie. C’est un résultat que M. Jacoby avait mis en lumière et sur lequel, à son tour, M. Gustave Le Bon a insisté. Une supériorité dans un sens ne s’obtient, trop souvent, qu’au prix d’une infériorité et, sans doute, d’une dégénérescence dans d’autres sens. En admettant qu’on ait exagéré les dangers des unions restreintes à une seule et même caste ou classe sociale, il demeure vrai que, depuis les origines de la civilisation, des croisemens innombrables ont eu lieu, que nous avons tous dans nos veines du sang de blonds et du sang de bruns, du germanique, du celtique et du méditerranéen, que le mélange va croissant avec la civilisation, et qu’en définitive l’humanité ne paraît pas déchoir avec les siècles qui la « brunissent ».

Au reste, s’il y a des enthousiastes du crâne long, il y a aussi