de l’Allemagne du fer et du sang ; leur naïveté et leur aveuglement stupéfient. » Si la théorie de la force, dont nous nous engouons à l’exemple de l’Allemagne, était vraiment celle à laquelle doit aboutir la race dite supérieure, celle-ci n’aurait fait, en vieillissant, que revenir à la morale préhistorique qu’elle pratiqua quand elle était cannibale ; sa prétendue supériorité serait un leurre : le sentiment de la justice dans un crâne large est préférable à l’injustice dans un crâne long. D’ailleurs, la justice même est une force, la plus grande peut-être de toutes, et qui se manifestera de plus en plus à mesure que les élémens moraux et sociaux joueront un plus grand rôle dans la civilisation. L’apothéose de la force brutale est un retour en arrière, et l’histoire anthropologique n’est guère qu’un roman anthropophagique. Sans doute, en un siècle qui a perdu l’équilibre ancien sans avoir encore trouvé l’équilibre nouveau, il est naturel de voir réapparaître au grand jour tous les instincts animaux et barbares, qu’une fausse science essaie de légitimer, de réduire en théorie : notre époque se débat en pleine crise d’atavisme. Elle est même, par la rivalité des blancs, des jaunes et des noirs, menacée d’une vraie et dernière lutte de races, qui peut d’ailleurs rester une lutte pacifique ; mais il est inadmissible de représenter sous le même aspect la rivalité des Français avec les Allemands, ou celle des Français « nobles » avec les Français « serviles ». Ce ne sont là que des querelles de familles, et l’histoire naturelle n’a presque rien à y voir : c’est l’histoire proprement dite, c’est la science sociale et politique qui peuvent donner l’explication de ces luttes. On a beau nous faire un sombre tableau des « incompatibilités d’humeur » entre les races européennes ou entre les diverses couches ethniques de chaque nation, — incompatibilités qui, dit-on, expliquent nos guerres incessantes, — nous avons montré que ces prétendues « races » sont de simples types psychologiques, dont les conditions cérébrales nous sont encore inconnues et qu’aucune étude des crânes n’eût pu faire soupçonner. Dès lors, ces produits dits « naturels » sont surtout des produits sociaux : ce n’est pas l’hérédité, ce n’est pas le milieu physique qui les a engendrés : c’est principalement le milieu moral, religieux, philosophique. Les « races » sont des sentimens et des pensées incarnés ; la lutte des races est devenue une lutte d’idées, compliquée d’une lutte de passions et d’intérêts ; modifiez les idées et les sentimens, vous éviterez des guerres prétendues inévitables.
ALFRED FOUILLEE.