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une preuve de jugement. Elle était arrière-petite-fille d’un docteur en médecine de la Faculté de Montpellier ; dans ses jeunes années, elle avait pris de l’intérêt aux livres qu’elle trouvait dans la bibliothèque qu’il avait laissée. Elle n’était donc pas étrangère à ce genre de lectures, et elle aimait à préparer elle-même des remèdes. Jean-Jacques aussi parle des livres de médecine qui lui tombèrent entre les mains : ils lui brouillaient l’esprit ; il se ; croyait atteint de toutes les maladies qu’il y voyait décrites.

Nous avons parcouru toute la série des études scientifiques de Rousseau. Fontenelle certainement, et Buffon et d’Alembert firent beaucoup mieux les leurs, avec plus d’ordre et de pondération. Mais, tout inférieur que Rousseau demeure à cet égard, tout inégal que soit forcément le labeur d’un autodidacte, cette manière originale de superposer un temps de travail sévère à de longues années de flânerie et de vagabondage, devait amener des effets heureux et rares. La pensée avait ainsi plus de mordant Rousseau croyait se préparer à quelque poste de précepteur ; il s’armait en réalité pour un grand rôle intellectuel. En somme, les efforts méritoires qu’il fit alors, pour suppléer aux énormes lacunes de son instruction première, ont été tout à fait sérieux et efficaces.

Nous arrivons à la partie littéraire du programme des études de Jean-Jacques. Ses lectures embrassaient toute la littérature française, depuis son contemporain Voltaire jusqu’à la seconde moitié du XVIe siècle, où il était familier avec les œuvres de Montaigne et d’Amyot. Il ne remontait guère au-delà, quoiqu’il ait lu sans doute Rabelais et Marot, el qu’il cite une fois le Roman de la Rose.

Une année passée à Turin l’avait initié à la connaissance de la langue italienne, dans laquelle il eut plus tard encore l’occasion de s’exercer, pendant son séjour à Venise. Je ne sais à quelle époque de sa vieil apprit les élémens de l’anglais. Mme de Boufflers lui écrivait un jour, en lui envoyant une lettre : « Vous savez assez d’anglais pour l’entendre, et je veux éviter la peine de la traduire. » Mais à peine Rousseau, en 1766, est-il arrivé en Angleterre, qu’il répète à tous ses correspondans qu’il ignore la langue du pays. Il lisait donc l’anglais, sans être en état de le parler ; c’est ce qui arrive souvent.

Le latin : voilà le point faible. La suite régulière des études scolaires se remplace mal par l’acharnement d’études solitaires, qu’on recommence de temps à autre, sans jamais aboutir. Après s’être donné beaucoup de peine, Jean-Jacques est arrivé pourtant à savoir autant de latin qu’un autre. On a remarqué le choix