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public ou seulement apparent. Obligés de seconder les chefs des services administratifs de nos armées, de les aider à se pourvoir de locaux et de terrains, nous en avions souvent, l’un et l’autre, sollicité simultanément la cession de la Porte. J’étais entouré d’un personnel jeune, actif, intelligent, à l’aide duquel j’ai souvent réussi à obtenir des avantages que l’ambassade d’Angleterre revendiquait de son côté. Si Rechid-Pacha obéissait trop aveuglément aux injonctions du représentant du cabinet de Londres, nous trouvions, de notre côté, auprès du ministre de la guerre, le seraskier Hiza-Pacha, un appui qui nous faisait rarement défaut ; ses attributions spéciales lui permettaient de nous accorder des faveurs qui nous étaient précieuses. C’est sans doute à cette occasion que lord Stratford a prétendu que je faisais tout de mon côté pour aigrir les relations entre les deux ambassades. Quoi qu’il en soit, il devint, à dater de ce moment, violemment hostile à Riza-Pacha, et il le lui témoigna sans détours dans la conférence que j’ai rappelée plus haut, lui reprochant de ne pourvoir que très insuffisamment les armées du Sultan en Asie et en Europe. Il tenta plusieurs fois de provoquer sa destitution, de concert avec Rechid-Pacha. Mais le commandant de notre armée, le général Canrobert d’abord, le général Pélissier ensuite, m’ayant, plusieurs fois, adressé des communications dans lesquelles ils rendaient pleine justice au concours que leur prêtait le seraskier, j’avais soin de les faire placer directement sous les yeux du Sultan, qui ne pouvait, y répondre en révoquant son ministre de la guerre.

Je ne pouvais cependant négliger les soins que je devais à notre armée, et mes rapports avec lord Stratford commençaient ainsi à s’altérer visiblement quand il soumit à la Porte, sans m’en instruire, un projet de convention, par laquelle la Turquie devait mettre à la disposition de l’Angleterre un corps de vingt mille hommes que le gouvernement de la reine prendrait à sa solde, dont il aurait la libre disposition et qui serait instruit et commandé par des officiers anglais. Je m’abstins de toute représentation et l’arrangement fut rapidement conclu. Mais je dus faire mes réserves pour le cas où mon gouvernement jugerait convenable d’acquérir le même avantage. Je fus placé dans l’obligation de les accentuer sur l’invitation de notre général en chef quand l’ambassadeur d’Angleterre émit la prétention de distraire, pour la formation de ce nouveau contingent, une partie du corps d’armée turc qui combattait en Crimée sous les ordres d’Omer-Pacha. La Porte en effet, dont toutes les troupes étaient réunies soit en Asie soit devant Sébastopol, rencontrait les plus grandes