lui-même, prévoyant, disposant les choses, souvent dans plusieurs données et avec plusieurs issues, et ne laissant au hasard, c’est-à-dire à l’indéterminé et à l’imprévu, que la part la plus minime. Plus tard, il y abandonnera davantage et de plus en plus. C’est alors qu’il parlera si souvent de son étoile et qu’il s’efforcera d’y croire. Ainsi se transformera sa croyance, vigilante et tout active d’abord, passive dans la suite, fataliste, superstitieuse même, dans ce qu’il appelle la destinée, le fatum des anciens, son Dieu des batailles, sa raison d’Etat divinisée, qu’il confond constamment dans ses discours avec la Providence. Les événemens lui ouvrent si largement la voie, il se trouve toujours si prêt à en profiter, il découvre entre l’histoire de l’Europe et la prodigieuse aventure de sa vie des rapports si singuliers et si constans, qu’il en viendra à concevoir sa destinée comme une sorte de loi de la nature dont il est l’exécuteur. Il diminuera progressivement sa part consciente et volontaire dans sa propre vie, pour se représenter à lui-même comme l’instrument d’une volonté supérieure. « Plus on est grand, moins on doit avoir de volonté, dira-t-il à l’apogée de sa puissance : l’on dépend des événemens et des circonstances ; moi, je me déclare le plus esclave des hommes ; mon maître n’a pas d’entrailles, et ce maître, c’est la nature des choses. » En 1797, au moment de l’essor, ce fatalisme natif l’assiège déjà dans les heures de crise où, tous ses préparatifs faits, il attend, en suspens, l’événement. Il écrit un jour au ministre des relations extérieures : « La loi de la nécessité maîtrise l’inclination, la volonté et la raison. »…« Nous tenons la balance de l’Europe ; nous la ferons pencher comme nous voudrons, et même, si tel est l’ordre du destin, je ne vois point d’impossibilité à ce qu’on arrive en peu d’années à ces grands résultats que l’imagination échauffée et enthousiaste entrevoit, et que l’homme extrêmement froid, constant et raisonné, atteindra seul. »
D’où son audace à pousser la victoire et les accès de découragement qui, par momens, comme à Castiglione, semblent obscurcir son génie, brouillards passagers qui, à la Moskowa, à Waterloo, deviendront des nuages, s’abattront lourdement et l’envelopperont de nuit. Il les dissipe alors : il est jeune, il est heureux ; c’est Œdipe au tournant du chemin. La destinée est pour lui l’énigme à déchiffrer, le problème à résoudre, le plan à exécuter : elle commande, mais c’est à lui de comprendre et d’accomplir. Il obéit au destin comme ses lieutenans lui obéissent à lui-même, avec initiative et impétuosité ; plus tard, il fera comme ses maréchaux : il suivra, l’esprit encombré, la pensée ralentie, affaissé sur son cheval. Ce sera le temps du grand reflux de la Révolution ; la force des choses tournera contre lui ; il