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est digne de sa sagesse, de la plus sainte des religions, de faire une bulle ou mandement qui ordonne aux prêtres de prêcher obéissance nu gouvernement et de faire tout ce qui sera possible pour consolider la constitution établie… » Ce sera « un grand acheminement vers le bien, » vers la réconciliation des prêtres entre eux et vers les mesures qui pourront « ramener aux principes de la religion la majorité du peuple ; français. » Il demandait une réponse prompte ; c’est qu’il n’y avait point de chapitre où il se sentît plus loin de compte avec le Directoire, et que, s’il voulait faire prévaloir sa politique religieuse, il ne le pouvait que par les moyens qui lui avaient jusqu’alors réussi, l’initiative personnelle, le fait accompli, la menace d’une démission et l’appel au public. « Si j’étais le maître, disait-il, nous aurions le concordat demain. » Ce concordat était, dès lors aussi arrêté dans sa pensée que l’étaient les bases de la Constitution de l’an VIII et les données de la politique extérieure du consulat et de l’empire.


VI

Restait l’armée, instrument de sa grandeur future, garantie de son pouvoir, par laquelle il arriverait et se soutiendrait plus tard, mais où il apercevait, en même temps, les plus redoutables obstacles à son avènement dans le présent, et les plus dangereuses oppositions à son gouvernement dans l’avenir. Il connaissait, pour les avoir éprouvés à ses débuts et pour les éprouver plus violemment que jamais en cette crise de sa vie, les conflits d’ambitions et les rivalités des généraux. Il n’était pas le seul à destiner à un chef d’armée la première place dans la République ; mais la plupart des généraux se jugeaient hors d’état de la briguer pour eux-mêmes ; ils voulaient qu’au moins aucun de leurs compagnons d’armes ne l’occupât. Ils préféraient obéir au pouvoir civil, soit en le redoutant, comme au temps des comités, soit en le méprisant, comme ils faisaient sous le Directoire. Cependant toute la force des choses, toute l’impulsion guerrière donnée à la Révolution, toutes les nécessités du gouvernement et de la guerre poussaient à l’avènement d’un général. Bonaparte pénétrait ces contradictions, il les pesait et il comptait ses rivaux. Pichegru était dès lors perdu, Moreau était réduit par ses indécisions au rôle subalterne de prête-nom des mécontens. Hoche restait grand et très redoutable ; il s’agissait de le devancer ou de le supplanter. Quant aux autres, on les mènerait avec de la gloire, des grades, des dignités, et, — l’expérience n’était dès lors que trop souvent concluante, — avec de l’argent. Bonaparte devinait l’hostilité chez Bernadotte, le plus politique des militaires, et l’un de