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Je vis ses yeux noirs s’agrandir encore ; sa main mignonne se tendit vers moi, comme pour prêter serment ; Mlle Juana cessa de sourire un tout petit instant :

— Il y a parfois des drames ! fit-elle.

Je me suis renseigné depuis. Mlle Juana m’avait dit vrai, au moins en ce qui concerne les fiançailles dans un certain monde, celui de la classe moyenne.


— Un homme du monde, très lettré, a fait devant moi, aujourd’hui, une sorte de distribution de prix littéraires, qui devait être équitable, car il était compétent et désintéressé. « Notre littérature, disait-il, quoique peu répandue au dehors, mériterait une étude attentive. Plusieurs pays, qui passent pour féconds, vous rendent simplement vos idées en travesti ; ils habillent les poupées, qui sortent de vos maisons de fabrique. Nous aurions à vous offrir, au contraire, je ne dis pas des chefs-d’œuvre, mais, dans chaque genre, des œuvres moins servilement imitées des vôtres. Ainsi, le théâtre espagnol, qui n’a jamais été pauvre, à aucune époque, pourrait être considéré, aujourd’hui, comme un théâtre riche, lors même qu’il n’aurait, pour le représenter, que ces deux hommes : Tamayo, le secrétaire de notre Académie, l’auteur de cette merveille un peu ancienne déjà, Un drama nuevo, et notre étonnant Echegaray, à la fois ingénieur, financier, homme d’Etat, dramaturge, poète, et que je préfère, comme plus Espagnol, à Tamayo lui-même, un peu teinté d’idéalisme allemand. Dans le roman, j’accorderais la première place ex æquo à Pereda, notre grand écrivain du nord, et à Juan Valera, le souple Andalou, dont nous avons fait notre ambassadeur à Vienne. Pérez Galdos marcherait sur le même rang, styliste moins parfait peut-être, mais ouvrier consommé dans l’art de conduire une nouvelle. Et que d’autres on pourrait citer, après ceux-là ! Je vous nommerai, par exemple, Mme Pardo Bazan, la romancière des mœurs galiciennes, dont le salon est un des plus recherchés de Madrid ; Leopoldo Alas, esprit mordant, critique redouté, romancier à ses heures, très connu sous le pseudonyme de Clarin ; Octavio Picôn, et aussi le P. Coloma, qui me semble un satirique sans rival et un romancier de second ordre. Je ne parle pas de nos orateurs, dont la réputation a franchi la frontière, ni même de nos savans. Vous n’ignorez pas, j’en suis sûr, le nom de D. Marcelino Menendez y Pelayo, le premier et le plus jeune de nos érudits et de nos historiens littéraires, qui, à vingt-quatre ans, avait achevé la publication de ses Eterodoxos españoles, trois gros volumes, où se trouvent analysées, avec une clarté admirable, toutes les hérésies soutenues en Espagne, pendant le