quadrilatère de granit gris, percé de 1110 fenêtres ; — je n’ai pas compté. — Je suis monté à pied, de la gare, par des avenues où le soleil, doucement, achevait de jaunir les feuilles. Mais déjà le froid de ce glacier de pierres, là-haut, me pénétrait. Comme j’étais recommandé, j’eus pour cicérone extraordinaire et fort aimable un jeune religieux augustin, Frère Juan Lascano, qui s’imagina, je ne sais pourquoi, que je savais l’arabe. J’eus beau m’en défendre, comme il était arabisant, il me montra les plus rares manuscrits, dans une bibliothèque magnifique, semblable à une galerie d’Apollon où il y aurait des livres.
L’Escorial est, en effet, divisé en trois parties, depuis qu’un seul homme ne le remplit plus tout entier. La première a été concédée par Alphonse XII aux religieux augustins, qui ont la garde des sépultures royales. Dans les étages, ils ont établi un collège, espèce d’université libre, qui prépare aux examens de droit, de lettres et aux écoles militaires. La seconde partie appartient aux morts : c’est le panthéon des rois. La troisième renferme les « appartemens du fondateur », et les chambres et salons que ses successeurs ont la liberté d’occuper, quand il leur plaît, droit dont ils n’usent plus guère. La reine régente, m’a dit un des employés, n’est venue à l’Escorial que deux après-midi : une première fois après son mariage, une seconde fois après la mort d’Alphonse XII.
La chambre où « le fondateur » recevait les ambassadeurs est blanchie à la chaux, carrelée, meublée de tables et de pupitres en mauvais bois peint. Mais, sur une porte, une inscription dit : « Ici mourut Philippe II… Sa manière fut si haute, qu’en lui l’âme vivait seule, et qu’il n’avait plus de corps quand il acheva de mourir. » On vous introduit, par là, dans une loge très ornée, dorée, revêtue de marbres, ouvrant sur le maître-autel de l’église. Et l’homme, récitant sa leçon, ajoute : « Il voulut expirer la face tournée de ce côté. » Alors, pour un moment, la grande ombre réapparaît, et une émotion coupe en deux l’accablante indifférence où plongent tous ces couloirs, ces voûtes, ces cours tristes. En descendant de l’Escorial, le soleil me sembla plus vivifiant que d’ordinaire. Je vis un domestique près d’une grille. J’entrai dans le parc de la Casa del Principe, lieu de promenade de Charles IV, domaine que traversent des allées en étoile, bordées de marronniers. La senteur automnale des feuilles embaumait. Au bout des avenues en pente, le bleu des montagnes était doux à ravir. Près de la villa déserte, un jardin achevait de se faner. Les capucines rampaient sur le sable ; les dahlias levaient leurs gerbes à demi sèches, des rosiers épuisés s’appuyaient aux