teinte d’ocre rouge, et des plaques pierreuses, bleu d’ardoise, que tache çà et là, comme un petit point vert, la boule d’un abricotier. Une chaleur de plomb s’amasse dans cette cuve profonde. Le rayonnement des choses y fatigue les yeux, et l’on ne voit point d’herbes, mais un parfum d’aromates s’échappe de leurs tiges mortes, et passe, dans la lumière, au-dessus des toits de la ville.
Un tel spectacle devait réjouir les âmes sarrasines. Elles y retrouvaient l’âpre goût et l’odeur du désert. Le paysage était à souhait pour que les tisseurs de soie inventassent des rayures nouvelles et éclatantes. Les colliers de sequins, les bracelets d’or des femmes s’harmonisaient avec le contour des collines lorsque le soleil descend. Dans la langueur des nuits, on entendait le bruit continuel des jets d’eau, pareil à celui des palmes agitées par le vont. Oh ! tout ce passé !
En bas, à la gare, j’avais pris, sur la recommandation de mon hôtelier de Madrid, un guide dont je veux dire le nom, Toribio Diaz, un pauvre diable, tout jeune, aux grosses lèvres orientales, aux yeux intelligens et tristes. Nous voilà qui passons le Tage sur le pont d’Alcantara, défendu, aux deux extrémités, par des forteresses crénelées. Puis, nous gravissons l’avenue qui tourne autour d’anciens remparts, puis nous sommes dans la ville, tout étroite de rues, toute défiante, tordue et mystérieuse comme un labyrinthe, prodigieusement inégale et telle que les Arabes on reconnaîtraient les logis blancs, le ciel découpé par les stores qui s’abaissent, les escaliers noirs, les patios déserts sous l’ardent soleil.
Presque toutes les voies sont impraticables aux voitures. Elles se rétrécissent, aboutissent à des couloirs entre deux murailles, à des porches qui s’évasent un peu plus loin. La seule note moderne, je l’ai vue en haut, à l’Alcazar, ce pignon de Tolède, et c’étaient, au pied des murs de l’énorme bâtisse incendiée il y a quelques années, les élèves de l’école militaire espagnole, étudiant la théorie en pantalon rouge et veste grise. Ou monte jusque-là par un jardin en échelle, traversé de canaux de marbre. Le ravin du Tage tourne en bas, à une effrayante profondeur. D’un seul côté, la vue échappe au cercle des montagnes prochaines. Une vallée descend et s’élargit, route d’arrivée, route de départ aussi. Et je ne puis penser que je dois quitter Tolède dès demain. Et je m’enfuis, par des ruelles sans horizon, de peur de voir encore cette plaine qui m’emmènera. Heures délicieuses, courses pleines d’exclamations, de surprises, de retours, de regrets légers qui ravissent. Je me fais l’effet d’un de ces taons de printemps qui, devant une corbeille d’œillets, fanés ou vifs, ne savent où se poser, tentés par toutes les fleurs et retenus par