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est-elle indispensable ? et en diplomatie, certaines qualités morales et intellectuelles, le tact, le jugement, la circonspection, le sens de la pénétration, celui de la prévoyance, les résolutions fermes ou prudentes selon les circonstances, n’ont-elles pas leur prix, et ne rendent-elles pas les agens aptes à s’acquitter de leurs devoirs aussi bien que des connaissances étendues en toute chose ? Comment concilier ces diverses nécessités ? En laissant, croyons-nous, au ministre des affaires étrangères une plus large latitude que celle qui lui est réservée chez nous, soit pour le recrutement de son personnel, soit pour l’emploi qu’il doit en faire. C’est ce qui est pratiqué généralement à l’étranger. La solution est là ; elle n’est pas dans les programmes surchargés ni dans les concours. A mon humble avis, l’expérience est faite à cet égard.

Le vice de notre organisation diplomatique ne date ni de l’empire ni de la république ; il remonte à une époque plus éloignée, et je suis loin de penser que nos représentans actuels, comme ceux qui les ont précédés, ne sont ou n’étaient pas à la hauteur de leur tâche ; le mal dont nous souffrons ne leur est nullement imputable ; il tient à des causes générales qui ne peuvent être corrigées que par une direction intelligente, ferme et persévérante. Cette direction doit rester entre les mains du ministre ; lui seul peut et doit conduire son personnel, le dresser, le rendre propre aux services qu’il en attend, soit en choisissant, dans les rangs de la jeunesse offrant des gages sérieux, de bonnes recrues, soit en éliminant les agens devenus des inutilités, en mettant en outre chacun à sa place selon ses aptitudes et en l’y maintenant aussi longtemps que l’intérêt du service lui paraîtra l’exiger. Si ces saines traditions étaient bien établies, si elles étaient la règle de la maison, les fréquentes mutations de ministre n’auraient pas tous les inconvéniens qu’on peut en redouter. Ce qui y met obstacle, depuis longues années, ce sont des exigences qui s’imposent impérieusement. Ces exigences ne tiennent compte ni du bien de l’Etat, ni des droits acquis, ni de la responsabilité ministérielle. Comment réagir contre elles ? Je sortirais de mon cadre en abordant cette question ; je n’y suis d’ailleurs préparé ni par mes études, ni par la nature des fonctions que j’ai exercées, et j’en laisse le soin à de plus compétens que moi.


Comte BENEDETTI.